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Main illustrative tenant une foreuse jaune sur un fond rouge
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Magazine Pivot

Faut-il louer ou acheter, voilà la question

Les plateformes de prêt comme Ruckify, à Ottawa, accélèrent et décollent, à l’ère où tout se loue, tout se prête. Révolution des prêts.

Main illustrative tenant une foreuse jaune sur un fond rougePrésente dans quelque 200 marchés nord-américains, Ruckify se concentre sur des secteurs en croissance, notamment Ottawa, Calgary, Nashville et Austin. (Illustration Dan Parsons)

Ruckify, plateforme de location d’objets en tout genre fondée à Ottawa, s’apprêtait à déployer ses ailes à Austin, au Texas, quand la COVID-19 a frappé. Évidemment, la pandémie a durement éprouvé certaines entreprises, mais pour Ruckify, qui dit location dit contact. Et qui dit contact dit contagion. À l’heure des gestes barrières, qu’adviendrait-il du prêt d’objets personnels?

« Après quelques premières inquiétudes, on a vu qu’il y avait de belles occasions à saisir, explique Dean Cosman, chef des finances. Par exemple, comme les centres d’entraînement avaient fermé, on a invité les professionnels de la mise en forme à s’inscrire. » Et tout le monde s’est précipité sur les tapis roulants et les haltères. Le matériel de sports nautiques et les véhicules récréatifs ont suivi.

Après quelques secousses de départ, 2020 a été une année faste pour l’entreprise fondée en 2017 par Steve Cody (Marketplace Studio) et Bruce Linton (Canopy Growth), voisins à Ottawa. Après une tempête, l’un cherchait une tronçonneuse pour débiter un arbre tombé devant la maison de l’autre. Quelqu’un devait bien en avoir une dans le quartier, mais qui? Pour ces entrepreneurs en série, habitués à se lancer en affaires, le vide à combler s’est transformé en une nouvelle aventure. C’était un créneau à exploiter, et l’idée d’une plateforme de prêt a germé.

C’est simple comme bonjour, sur le principe du « Airbnb des objets », illustre M. Linton. Les propriétaires présentent leurs articles, les locataires les louent, et Ruckify, l’intermédiaire, prélève une commission (environ 10 %). Présente dans quelque 200 marchés nord-américains, l’entreprise se concentre sur des secteurs en croissance, notamment Ottawa, Calgary, Nashville et Austin. Elle a mobilisé près de 20 M$ en capitaux et prépare sans doute une entrée à la Bourse de croissance TSX en 2021. Eh oui, nous sommes à l’ère où tout se loue, tout se prête.

Avouons que le virage était déjà amorcé. On partage volontiers son logement (Airbnb), sa voiture (Uber), ses tenues de soirée (Rent the Runway), et les gadgets et outils suivent le mouvement. Selon Statista, le marché du partage devrait se chiffrer à 335 G$ US à l’échelle du monde d’ici 2025, contre 15 G$ en 2014.

L’essor de la location concorde avec d’autres tendances, surtout chez les Y et les Z. « Ils s’intéressent à la durabilité, et la location cadre avec leurs attentes », estime Daniel Baer, FCPA, leader, Produits de consommation, chez EY, qui scrute les marchés.

La superficie réduite dont disposent certains jeunes professionnels joue aussi. « En zone urbaine, ils habitent un appartement sans garage », souligne M. Baer. Alors la location d’articles encombrants, comme les kayaks et les outils électriques, va de soi.

On a envie de se faire plaisir, de vivre des moments forts, et d’en profiter pour publier une photo sur Instagram. Les jeunes veulent se gâter, mais hésitent à s’embarrasser de possessions. « C’est comme décider de louer une voiture pour faire Toronto-Montréal, sans vouloir la garder des années », explique M. Baer. Tous les vœux sont exaucés, à moindres frais, sans attente ni engagement, d’où l’essor de la location d’œuvres d’art. « Plutôt que de s’offrir un tableau qu’il faudra aimer pour toujours, on en choisit un à admirer pendant trois mois. »

Est-ce la fin de la propriété? Dans le cas du marché haut de gamme, c’est peu probable, estime M. Baer. Contrairement aux salariés à faible ou moyen revenu, les mieux nantis n’ont pas vu leur pouvoir d’achat s’effriter sous l’effet de la pandémie. À souligner aussi, les entreprises de location comme Ruckify ont adopté des protocoles de santé et sécurité rassurants, mais dans d’autres secteurs spécialisés, telle la location de vêtements, il sera peut-être difficile de remonter la pente et de regagner la confiance des consommateurs.

Il faut dire que l’insécurité économique incite certains à rentabiliser leurs avoirs. « Dans le quartile supérieur, nos propriétaires touchent environ 1 950 $ par trimestre, ce qui n’est pas rien dans un contexte éprouvant », fait observer Dean Cosman. De fait, le marché de la location a émergé lors de la Grande Dépression, et Uber comme Airbnb sont nées durant la dernière récession. La crise de la COVID-19 nous a donné bien des raisons de refaire le monde. Partager nos possessions plutôt que nos microbes, pourquoi pas?

TENDANCES

Depuis le début de la pandémie, les ventes de jumelles ont le vent en poupe à la faveur des activités de plein air et les casse-têtes et autres jeux à l’ancienne sont de retour.