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Plan d'ensemble de la main gauche travaillant sur un ordinateur portable et de la main droite tenant une tasse de café.
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Magazine Pivot

Audits virtuels et montée en popularité de l’économie mobile

Astreints au télétravail, les cabinets ont dû adapter rapidement leur pratique... et l’ont fait avec brio.

Plan d'ensemble de la main gauche travaillant sur un ordinateur portable et de la main droite tenant une tasse de café.Quand la pandémie a commencé, les grands cabinets disposaient déjà de la quasi-totalité de l’infrastructure nécessaire au télétravail de leurs employés.

Toute une déception. Pour True North Accounting, cabinet de Calgary fondé six ans plus tôt, le 18 mars 2020 devait être un jour de fête. L’équipe s’apprêtait à s’installer dans un nouveau bureau à Bridgeland, quartier animé du Nord-Est, de l’autre côté du pont de la Réconciliation. 

Les semaines précédentes, Matt Peterson, CPA, copropriétaire de True North, était l’un des rares à y travailler, le site étant en chantier. Mais plus la date approchait, plus l’inquiétude grandissait. La pandémie avançait inexorablement. La NBA avait annulé ses matchs, Broadway avait éteint ses lumières, et magasins, restaurants et salles de sport avaient fermé. Matt Peterson l’a compris, l’inauguration du bureau n’aurait pas lieu.

Le 16 mars, il avise tous ses clients, principalement des PME, que les deux bureaux du cabinet, à Calgary et à Okotoks, ferment pour une durée indéterminée. Mais la saison des impôts approche, et les prochains mois vont être chargés. Il va falloir familiariser sans tarder les clients avec l’utilisation de nouveaux outils numériques de documentation et d’autorisation. Pas le choix.

Pour la clientèle, la transition s’est faite en douceur, mais pour Matt Peterson et Curtis Gabinet, copropriétaire du cabinet, c’est une autre affaire. Onze employés des deux bureaux sont passés au télétravail du jour au lendemain. Pendant trois jours, les deux associés allaient jouer les déménageurs : moniteurs, casques d’écoute, fauteuils, tout devait être livré au domicile des employés. À la dernière minute, pressentant l’avènement des réunions virtuelles, Matt Peterson a dû partir à la recherche de webcams, soudain introuvables. « Un dimanche après-midi, j’ai dû faire une dizaine de magasins, en vain. » Finalement, il déniche une boîte de webcams d’occasion sur Kijiji. « On a pris le virage en trois semaines et non trois ans, sur les chapeaux de roue. » 

Le coronavirus a forcé les entreprises à repenser de fond en comble leur mode de fonctionnement. Les petits cabinets comme True North, au service d’une clientèle variée (éleveurs de bétail, plombiers, entrepreneurs du secteur pétrogazier), se sont équipés en toute hâte d’outils numériques de comptabilité et de collaboration.

Les grands cabinets, eux, disposaient déjà de la quasi-totalité de cette infrastructure. « La tendance était au télétravail, et nous avions bien amorcé le virage numérique, » explique Chris Dulny, chef de l’innovation chez PwC Canada, qui n’a pas perdu une minute quand le confinement a frappé. En mars 2020, à peine les employés avaient-ils quitté les 26 étages du siège torontois que le cabinet reconfigurait les locaux. Adieu, lignes téléphoniques fixes, imprimantes et classeurs! Place au modèle du bureau sur réservation, aux modalités assouplies et à la distanciation sociale. « Quand une catastrophe change la donne, il ne faut pas se cramponner au passé, mais plutôt aller de l’avant. Les loyers exorbitants et le papier, c’est fini. L’ère des outils numériques s’est installée. »

Depuis la crise, les tours de bureaux se vident. Les géantes de Bay Street réduisent la voilure, comme la Banque Scotia, qui libérera en 2023 les étages supérieurs des locaux qu’elle loue, et Power Corporation, qui quittera son penthouse de Brookfield Place en 2024. Au quatrième trimestre de 2020, le taux d’inoccupation des immeubles de bureaux au centre-ville de Toronto a atteint 7,2 %, selon le courtier immobilier CBRE, soit une hausse de 2 % depuis l’arrivée de la COVID. Comme l’a lancé Tobias Lütke, PDG de Shopify, « la centralisation des bureaux, c’est terminé ».

Les équipes de direction des cabinets de comptabilité consultées par Pivot ne s’apprêtent pas toutes à réduire la surface de leurs bureaux, mais se disent persuadées que le travail sur place sera métamorphosé. Quand elles pourront le faire en toute sécurité, oui, elles retourneront sur place, mais l’effectif ne reviendra pas au complet, et pas dans les mêmes conditions. À en croire Geoffrey Leonardelli, spécialiste en comportement organisationnel et en gestion des ressources humaines à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, le travail sur place survivra. « Pour négocier, créer un lien de confiance, échanger avec autrui, on se tournera vers le présentiel. »

Le DJI Mavic 2, un drone volant populaire Dès le début de la pandémie, de nombreux cabinets ont aussi dû trouver moyen de dénombrer les stocks de clients alors que les visites en personne étaient interdites. Certains auditeurs ont ainsi fait appel aux drones.

Dans de nombreux grands cabinets, la transition vers le télétravail, déjà largement entamée, n’avait rien d’un saut dans l’inconnu. « Évidemment, nous étions loin de nous douter qu’il faudrait faire passer au virtuel environ 8 000 employés, du jour au lendemain, en mars 2020 », dit l’associée directrice, Services habilitants et gestion opérationnelle, à KPMG au Canada, Silvia Montefiore, qui a orchestré la réorganisation. « Cela dit, avant la COVID, une partie de nos troupes travaillaient à domicile quelques jours par semaine. »

Comme KPMG avait déjà équipé la majorité de ses employés d’un ordinateur portable et d’un deuxième écran pour la maison, ils sont passés au télétravail en un clin d’œil. Par un heureux hasard, à l’automne 2019, le cabinet avait investi pour mettre à niveau ses serveurs et s’équiper de la plateforme Microsoft Teams. 

Grâce à Teams Live, KPMG a pu organiser des assemblées mensuelles durant lesquelles se sont réunis des milliers d’employés des 40 bureaux, explique Silvia Montefiore : « Avant la pandémie, rassembler tous les effectifs en virtuel aurait été infaisable. »

Si les chefs d’équipe de KPMG maîtrisaient déjà les outils informatiques de collaboration, le passage au virtuel n’était pas une mince affaire dans un contexte où quelques supervisés, installés dans leur cuisine devant une webcam, avaient tout à apprendre. Au lendemain du premier confinement, le cabinet a donc parié sur la formation et le virage numérique, à l’aide de la plateforme Degreed, afin d’aider les gestionnaires à encadrer avec doigté leur équipe à distance.

Dans les petits cabinets comme True North, bien des employés ont hâte de s’éloigner de leur écran et de revenir à la normale. Malgré les efforts de Matt Peterson, certains n’étaient pas équipés pour le télétravail en mars 2020. « L’une de nos employées vit en région rurale, près d’Okotoks, où l’accès à Internet laisse à désirer. Impossible, donc, de travailler dans le nuage. » Elle va encore au bureau, où elle travaille seule.

Pour le cabinet Manning Elliott de Vancouver, quand le confinement a frappé, c’est sur le plan social que le malaise s’est manifesté, sans égard aux aléas de la technologie. « Les recrues, en particulier, se sont senties isolées, alors nous avons tout fait pour les intégrer », explique l’associé Adam Denny. Il précise que le cabinet a une clientèle variée, notamment des PME qui évoluent dans des domaines porteurs, du cannabis aux chaînes de blocs.

Résolue à combattre l’isolement, la direction de Manning Elliott a lancé des rencontres en ligne. On prend volontiers l’apéro sur Zoom les vendredis, par groupe de six ou huit. S’ajoute un système de jumelage et de mentorat, histoire de resserrer les liens, mais rien ne vaut les rapports en présentiel. D’ailleurs, deux mois après le premier confinement, les employés avaient amorcé leur retour au bureau, dans le respect des protocoles sanitaires. Début 2021, déjà la moitié retravaillaient sur place, dans l’un des quatre bureaux.

Pour certains, comme les parents de jeunes enfants pour qui le télétravail était un pur casse-tête, le retour était une question d’ordre pratique, tandis que pour d’autres, il répondait au désir de retrouver les bonnes vieilles habitudes et de fraterniser avec les collègues. Certes, les réunions Zoom pourraient remplacer pour de bon une partie des déplacements professionnels, reconnaît Adam Denny, mais certains entrepreneurs ont hâte d’échanger autour d’une table et, aussi, devant une bière. « Être sur place, auprès de quelqu’un, pouvoir déchiffrer ses gestes, c’est tellement mieux. » 

Du côté des Quatre Grands, les contacts en personne avec clients et collègues n’ont peut-être pas autant de poids que dans les petits cabinets. Les relations y sont davantage axées sur les tâches, et vu la nature multinationale des activités des clients, bien des interlocuteurs sont par définition dispersés aux quatre coins du monde. Sonya Fraser, à la tête du groupe d’audit de EY, dirige aussi le bureau d’Halifax, sa ville natale. « En comptabilité, l’adaptation a été plus facile que dans d’autres secteurs. On échangeait déjà couramment avec les clients sur nos plateformes d’audit, d’analyse et de recherche, EY Canvas, EY Helix et EY Atlas. »

Néanmoins, un changement d’envergure a quand même eu lieu pendant la pandémie : l’adoption à grande échelle des salles d’audit virtuelles. Selon Sonya Fraser, il s’agit de conférences Microsoft Teams réunissant des équipes d’audit, pour des échanges en temps réel. « Parfois, on se rencontre dans un bureau de EY, si les protocoles et les règles de distanciation sociale le permettent. Sinon, chacun participe de chez lui. »

Dès le début de la pandémie, de nombreux cabinets ont aussi dû trouver moyen de dénombrer les stocks de clients, en particulier lorsque les visites en personne étaient interdites. La solution? Des vidéos en direct tournées par le client via FaceTime ou Zoom. Certains auditeurs font même appel aux drones (précurseur, Pivot abordait ce thème en septembre 2019). Sonya Fraser, pour sa part, pense que la tendance s’accentuera : « Le recours aux drones et autres technologies continuera, et nos plateformes d’audit numériques poursuivront leur expansion. Nul doute que l’audit numérique reste la voie de l’avenir. »

Caméra webLa proportion des clients de PwC Canada prêts à collaborer à distance est passée de 16 % à 50 %.

L’an passé, outre la logistique du télétravail, il a surtout été difficile de cultiver les liens avec les clients.

Chris Dulny, de PwC, précise que le recours aux technologies de collaboration pour réaliser les missions a facilité le respect des échéanciers et a favorisé une communication fluide. En préparation de l’avenir, le cabinet consulte déjà ses clients sur leurs préférences : « La proportion de clients prêts à collaborer à distance a bondi, passant de 16 % à 50 %. » Les rencontres en personne ne disparaîtront pas pour autant, mais elles seront plus rares. « Le réflexe du déplacement systématique va s’estomper; il va y avoir un équilibre, et l’ouverture d’esprit est là. » 

Matt Peterson, de True North, a constaté cette évolution parmi sa clientèle, plutôt conservatrice. Au début, les nouvelles plateformes du cabinet – Karbon, logiciel de flux de travail, Practice Ignition, logiciel de gestion de propositions, et HelloSign, logiciel de signature électronique – ont suscité des réticences, surtout à Okotoks, en pleine campagne, où se trouve le deuxième bureau du cabinet. 

« Là-bas, il y a encore des cowboys, et certains vont au travail à cheval. On se méfie des fonctionnaires, des banquiers et des avocats », explique Matt Peterson. Dans le fond, rien ne remplace une franche poignée de main.

Pour briser la résistance au virtuel, Matt Peterson et Curtis Gabinet ont proposé des webinaires à leurs clients sur divers sujets, du virage au « sans papier » à la signature électronique de documents. Ils ont aussi fait la promotion de leurs vidéos sur les médias sociaux et dans des infolettres mensuelles. Les webinaires ont séduit les clients, si bien que Matt Peterson prévoit les offrir en permanence. « Les clients se débrouillent bien, ils se sont adaptés. Dans toutes les sphères de leur vie, ils ont dû adopter de nouveaux outils et méthodes, en accéléré, sous l’impulsion du virus. Par ailleurs, ce virage nous a vraiment aidés à gagner en efficience. »

Pour True North, en Alberta, le poids de la pandémie s’est ajouté à la déroute du secteur pétrogazier. Une période de turbulences, sans contredit. Matt Peterson déplore la perte de 16 % des clients l’année dernière. Certains sont morts de la COVID-19. D’autres ont fait faillite. Un triste bilan. « Nombreuses sont les entreprises qui n’ont pas réussi à rester à flot. Et nous avons dû retravailler à la baisse nos notes d’honoraires pour conserver certains clients. » Malgré cela, l’activité a augmenté de 45 % sur l’ensemble de l’exercice, surtout en raison d’un afflux de nouveaux clients, qui se sont lancés dans les affaires. « Nous les accompagnons dans leur démarrage et au-delà. » 

Et l’inauguration du nouveau bureau, alors? Matt Peterson a arrêté une date provisoire, dans quelques mois, pour célébrer ce passage, mais il sait que plusieurs employés resteront en télétravail. Il doit revoir les plans des nouveaux locaux, compte tenu des réalités de l’heure. « Après la pandémie, on pourrait offrir des camps d’entraînement pour les entrepreneurs, des rencontres et des ateliers. On envisage aussi de louer des salles de réunion à d’autres organisations. » L’année a été sombre, mais la lumière finira par percer les nuages.

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