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Homme d'affaires rattrapant du travail
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Magazine Pivot

Être son propre patron... dans un monde sans patron

Les jours de la structure hiérarchique classique seraient comptés. C’est en tout cas l’idée sur laquelle repose l’holocratie.

Homme d'affaires rattrapant du travailCertaines entreprises ont remodelé la hiérarchie traditionnelle en faveur de l’autogestion, qui procure aux employés une autonomie décisionnelle accrue. (Getty Images/DaniloAndjus)

Volages côté emploi, les millénariaux? Il semble que oui. Selon un sondage Gallup de 2016, seulement 30 % des Y s’investissent à fond dans leur travail. Et l’an passé, un coup de sonde auprès d’un millier de jeunes cadres a montré que 75 % d’entre eux butinent d’un emploi à l’autre pour progresser dans leur carrière. De nos jours, il faut offrir mieux qu’un bon salaire : autonomie, souplesse et épanouissement sont des incontournables – et les nouvelles idéologies, renforcées par la pandémie, influent sur les choix professionnels.

De fait, certaines entreprises ont remodelé la hiérarchie traditionnelle en faveur de l’autogestion, qui procure aux employés une autonomie décisionnelle accrue. Un nouveau mot à apprendre : « holocratie », du grec holos, c’est-à-dire « entier ». Qu’est-ce donc? 

Selon un sondage réalisé en 2019, 75 % des jeunes cadres pensent qu’un nouvel emploi peut faire progresser leur carrière.

Tout simplement un mode de gestion selon lequel gouvernance et prise de décisions sont décentralisées. Le patron… quel patron? Brian Robertson, fondateur de l’organisation Holacracy, compare cette structure à la complexité du vivant, en faisant un parallèle avec les cellules, qui assument des rôles spécifiques aux fins du fonctionnement harmonieux du corps, sans chef d’orchestre apparent.

Créée en 2007, Holacracy a fait la manchette quand le géant des ventes de chaussures en ligne Zappos a adopté la pratique, en janvier 2014. L’holocratie reste néanmoins mal comprise et moins commentée que d’autres méthodes de gestion. Un millier d’entreprises auraient pris le tournant, à l’échelle du monde. Selon M. Robertson, au Canada, la démarche fait figure de nouveauté, mais le mouvement s’amplifiera, dans le sillage de quelques précurseurs convaincants. Pivot a rencontré certains de ces pionniers pour faire le point.

L’agence de voyages torontoise G Adventures a bénéficié d’une large couverture médiatique – et mérité des prix – pour son fonctionnement nouveau genre. « Nous ne sommes soumis à aucune hiérarchie; nous collaborons entre collègues, quel que soit notre rôle », explique Gurmehar Randhawa, CPA, chef des finances. Il n’y a pas d’appellation officielle pour désigner la structure (ou l’absence de structure) en question; les employés prennent des décisions en toute autonomie. Et les chefs d’équipe se font mentors et accompagnateurs plutôt que superviseurs.

M. Randhawa le souligne, les employés de tous les services nouent des relations de proximité, et l’équipe des finances se sent plus proche des autres groupes, ce qui n’aurait pas été le cas autrement. Il a même constaté une amélioration de ses prévisions, qui s’appuient désormais sur des données plus pointues, en fonction des marchés, au lieu de se fonder sur les tendances.

Comme autre exemple, après le départ d’un de ses fondateurs, la société de génie-conseil MistyWest, à Vancouver, s’est réorganisée en misant sur l’holocratie, début 2019. Selon l’ingénieur en chef Taylor Cooper, les employés font toujours du 9 à 5, mais bien des choses ont changé.

Holocratie : Mode de gestion où gouvernance et prise de décisions sont décentralisées.

Moins de réunions, d’abord. Les employés se tournent vers Glass Frog, plateforme de gestion de projet créée par Holacracy, avant de prendre contact avec leurs collègues, pour gagner du temps, au lieu de chercher le consensus sans nécessité et, parfois, de marcher sur les platebandes des autres. Vous êtes au fait d’un problème? Vous êtes la mieux informée? À vous de trancher.

Pour M. Cooper, l’holocratie est également synonyme d’avantage concurrentiel, car les améliorations observées, même mineures, ne se produiraient pas dans une structure hiérarchique classique.

La société informatique torontoise Arctiq s’est mise à l’holocratie en novembre 2018. Elle avait grandi et comptait une douzaine d’employés (ils sont désormais 26). Ses dirigeants s’interrogeaient. Fallait-il créer des postes de gestionnaire? Repenser la structure opérationnelle? Tim Fairweather, l’un des associés, dit avoir opté pour l’autogestion après avoir vu certaines entreprises choisir de faire les choses autrement. « Rien n’empêche un coéquipier de prendre la barre, comme si l’entreprise était sa propre entreprise. »

Il fait observer que la liberté et la souplesse ont un revers : chacun doit adhérer à la philosophie, à défaut de quoi on gaspille temps et ressources. Un défi plus ardu dans les grandes entreprises. En 2015, un an après le passage à l’holocratie, Zappos a proposé des indemnités de départ volontaire aux employés moins enclins à rentrer dans le rang. Dix mois plus tard, 18 % des salariés avaient accepté l’offre (6 % d’entre eux invoquant l’holocratie comme motif).

L’une des principales critiques adressées aux entreprises autogérées, c’est qu’en l’absence d’une équipe de direction clairement définie, les orientations générales et les responsabilités sont floues. Mésentente, méprise, qui interviendra? M. Cooper l’admet, l’arrangement n’est pas sans complexité. « Parfois, sans maître d’œuvre, certains projets seront jetés aux oubliettes. »

En contexte structuré, ce genre de problème restera l’exception et non la règle. Par sa nature même, l’holocratie exige que les employés choisissent un rôle et se portent d’emblée volontaires, si bien que l’entreprise devrait pouvoir composer avec les enjeux de responsabilité. L’autogestion permet d’ailleurs aux organisations novatrices de se démarquer et d’attirer des candidats qui partagent leurs valeurs.

Certes, ce changement n’a rien d’une panacée; nombreux sont les travailleurs qui s’épanouissent dans un cadre traditionnel. Et les experts ont pu constater que l’idée convient surtout aux domaines où l’agilité domine, comme le génie logiciel. 

M. Fairweather explique que la transition s’est faite sans heurts. « On a plutôt eu l’impression d’officialiser quelque chose qu’on faisait déjà. » Une forme de gestion encore marginale, donc, mais qui s’harmonisera peut-être d’entrée de jeu avec la culture de votre entreprise.

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