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La pandémie a bouleversé les méthodes de travail des auditeurs 

Pourquoi certains changements vont s’enraciner.

Photo illustration de femme d'affaires portant un casque et debout devant un écran d'ordinateur portable affichant l'image d'un entrepôtConfinement et distanciation sociale obligent, les CPA ont dû trouver de nouvelles façons de réaliser les examens trimestriels et les audits annuels. (iStock)

Nous sommes au début d’avril. Michael Paterson et son équipe assistent à une prise d’inventaire. Comme d’habitude, ils suivent un employé dans le dédale d’un entrepôt. Néanmoins, l’exercice n’a rien de banal : chacun chez soi, les auditeurs de PwC observent les allées sur FaceTime grâce au iPhone de leur guide. « C’était comme regarder un audit en direct », décrit M. Paterson, leader national, Certification, et leader du réseau régional Asie-Pacifique et Amériques de PwC.

L’audit, comme beaucoup de secteurs, est très touché par la pandémie de COVID-19. « Tout est allé très vite », témoigne Jean-François Trépanier, directeur national, Normes professionnelles, chez Raymond Chabot Grant Thornton à Montréal. « Le lundi, on était au bureau; le vendredi, tout le monde était en télétravail! »

Les contraintes causent bien des maux de tête aux CPA, mais les forcent à innover, estime M. Paterson. Confinement et distanciation sociale obligent, ils doivent trouver de nouvelles façons de réaliser les examens trimestriels et les audits annuels, dont ont besoin les actionnaires, prêteurs et marchés financiers qui prennent des décisions d’investissement. « Des audits avaient déjà été faits à distance, mais pas à cette échelle », fait observer Rosemary McGuire, directrice, Information destinée à des tiers et marchés financiers, à CPA Canada.

Depuis la mi-mars, moment où les autorités ont déclaré l’urgence sanitaire et où l’économie a été réduite aux services essentiels au Canada, M. Paterson a pu constater le degré de préparation de ses clients et des cabinets à une crise pareille. Et il n’est pas le seul : « Sur le plan de l’évaluation des risques, souligne M. Trépanier, c’est un gros signal d’alarme. Certaines organisations n’étaient vraiment pas prêtes. » La crise met aussi à l’épreuve les systèmes infonuagiques d’extraction de données en audit conçus par les grands cabinets au cours des dernières années. « Comme la connexion virtuelle était déjà en place, la transition s’est faite en douceur pour la plupart de nos clients », se réjouit Kevin Kolliniatis, associé, Audit, chez KPMG Canada.

Cela dit, auditeurs et autorités de réglementation doivent trouver des solutions de rechange pour respecter les normes existantes et fournir une assurance fiable aux marchés. « L’élément positif, c’est que la crise nous pousse à réfléchir différemment, dit M. Paterson. Les choses ne redeviendront pas comme avant, mais personne ne veut que la situation actuelle soit notre nouvelle réalité. »

L’IFAC et plusieurs organismes internationaux aident les auditeurs à revoir leur façon de travailler dans le contexte de la COVID-19.

Peu après l’entrée en vigueur des mesures d’urgence, les autorités de réglementation des valeurs mobilières fédérale et provinciales permettent aux émetteurs de reporter le dépôt de leurs états financiers annuels et du premier trimestre. (Peu d’entreprises l’ont fait.) À la fin de mars, le Conseil canadien sur la reddition de comptes (CCRC) publie des indications sur divers aspects du travail des auditeurs, comme l’évaluation de la continuité de l’exploitation, la prise d’inventaire et la réalisation d’audits à distance. Les organismes de réglementation doivent aussi tenir compte du fait que le ralentissement a débuté peu avant, ou peu après, la date de fin d’exercice de nombreuses entreprises, en mars, et que des restrictions et incitatifs primordiaux pour les entreprises sont annoncés au début d’avril.

Les organismes internationaux réagissent aussi. L’International Federation of Accountants (IFAC), par exemple, publie un document de questions-réponses et des indications sur l’évaluation des événements liés à la pandémie survenus après la fin de l’exercice, mais avant la publication des états financiers.

Comme les premières mesures datent de mars, moment où bon nombre d’auditeurs préparaient des audits de fin d’exercice, la question de la prise d’inventaire s’est vite posée, raconte Carol Paradine. Chef de la direction au CCRC, elle est en étroite communication avec les autorités de réglementation, les grands cabinets d’audit et CPA Canada.

Dans certains cas, dit-elle, les auditeurs acceptent de reporter la prise d’inventaire ou de procéder par reconstitution. De nouveaux contrôles sont mis en place pour assurer la fiabilité de la prise d’inventaire à distance : le dénombrement doit être fait en direct, et non enregistré, car une vidéo peut être falsifiée. Et même si les gestionnaires des stocks acceptent de réaliser des audits par vidéo, une mauvaise connexion Wi-Fi peut venir tout gâcher.

Certains observateurs appellent à la prudence : à distance, les auditeurs peuvent manquer certains indices non verbaux ou éléments accessoires qu’ils noteraient habituellement lors des rencontres avec l’équipe de direction. L’audit à distance a toujours été un sujet délicat, lit-on dans un article récent du Journal of Accountancy. Beaucoup croient que les cas de fraude ou de malversation, ainsi que les erreurs, sont plus faciles à déceler sur place. Regard inquiet d’un haut dirigeant pressé, outils technologiques désuets ou malaise créé par une culture toxique… voilà des indices plus facilement perceptibles en personne. L’auditeur, soutient M. Paterson, doit apprendre à sentir le pouls d’une salle virtuelle

Kaylynn Pippo, directrice de projets, Audit et certification, à la division Recherche, orientation et soutien de CPA Canada, ajoute que l’audit à distance peut soulever nombre de questions. Comment obtenir des preuves des mêmes sources que lors des exercices précédents? Ou s’assurer que l’information reçue par voie électronique est fiable et à jour? Dans le contexte actuel, la stratégie d’audit ainsi que la composition et la supervision de l’équipe devront peut-être être revues. En outre, les auditeurs peu expérimentés, habitués à une surveillance serrée, peuvent éprouver plus de difficulté à accomplir leur tâche.

Si l’on n’attend que la levée des restrictions pour reprendre les visites, d’autres changements apportés par la crise sont là pour de bon. Par exemple, certaines activités des comités d’audit pourraient désormais se tenir en ligne. Les réunions virtuelles, déjà courantes dans les grands cabinets, pourraient devenir la norme dans certains contextes. Les auditeurs voyageraient donc moins. « On peut être très efficace à distance », affirme Sonya Fraser, leader canadienne en audit chez EY.

Les mesures de distanciation ont donné plus de fil à retordre aux petits cabinets, surtout ceux utilisant peu les technologies, fait remarquer M. Kolliniatis. KPMG Lighthouse, une division de services-conseils en technologie de KPMG, aide ces cabinets à passer rapidement des comptes papier aux plateformes de planification des ressources sur le nuage. Si certaines PME adhèrent rapidement au changement, d’autres peinent à s’y adapter. « On les amène doucement vers une plateforme collaborative. Certains clients sont même surpris par leur capacité d’adaptation. » 

À Montréal, les auditeurs de Raymond Chabot Grant Thornton recourent davantage à des plateformes de tiers pour la confirmation externe par exemple. Les clients, fournisseurs et banquiers de l’entité auditée peuvent vérifier le statut de leurs comptes en ligne, un processus qui se faisait sur papier depuis longtemps, explique Jean-François Trépanier. « Les équipes sont ravies de l’efficacité de ce nouveau processus. »

La pandémie favorisera l’adoption de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’apprentissage machine.

En plus des défis logistiques et technologiques que pose la COVID-19, les auditeurs et les autorités de réglementation doivent prêter attention à l’incidence du bouleversement économique sur les activités et la viabilité des organisations. Les perturbations ont des effets tant sur les notes des états financiers intermédiaires que sur l’évaluation de la continuité de l’exploitation ou de la dépréciation des immobilisations. 

Les auditeurs qui évaluent la continuité de l’exploitation se fient beaucoup aux prévisions fondées sur des scénarios et des simulations de crise pour exprimer des incertitudes significatives. Celles-ci aident les entreprises à présenter les conclusions possibles aux investisseurs, actionnaires et autorités de réglementation, expliquent Mme Paradine et d’autres experts. Les conséquences de la pandémie sont multiples, et tant les auditeurs que les organismes de réglementation invitent les entreprises à préciser les répercussions de la pandémie sur les flux de trésorerie et le taux d’épuisement du capital. L’heure n’est plus aux avertissements généraux ajoutés aux notes des états financiers audités. 

Certains auditeurs s’appuient plus que jamais sur les actuaires ou autres conseillers de leur cabinet. C’est le cas d’Elliot Marer, leader national, Services-conseils en comptabilité, chez KPMG Canada : « J’appelle souvent nos experts en évaluation, explique cet associé de la région du Grand Toronto. Certains clients sont convaincus qu’on ne peut faire de prévisions dans le contexte actuel. Mais avec les bons experts, on fait reculer les limites. »

Les clients, pour la plupart, se réjouissent de pouvoir compter sur leurs auditeurs. « Plus que jamais, nos clients sont friands d’information », dit Sonya Fraser. L’auditrice d’EY a noté, à l’instar de ses collègues, que certains veulent tirer des leçons des faiblesses mises au jour par la crise dans leur modèle d’affaires ou leurs activités. « C’est inspirant de voir une telle introspection. » 

Selon Kevin Kolliniatis, la pandémie favorisera l’adoption de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’apprentissage machine. Les choses bougent si vite que la demande d’information en temps réel s’intensifie : « L’audit en continu, une idée qui circule depuis longtemps, pourrait même se concrétiser. »

Cette crise aboutira-t-elle à des résultats positifs? En tout cas à l’accroissement des investissements dans les technologies et à l’élargissement du rôle (notamment de conseil) des cabinets d’audit pendant la transition, répond tout de go Michael Paterson. « Notre travail est plus important que jamais. » 

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