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Articles de fond
Magazine Pivot

Dans son nouveau recueil, l’économiste Paul Krugman fustige les idées délétères qui refusent de mourir

Les chroniques du prix Nobel et éditorialiste au New York Times enfin réunies

Image d'une main de zombie tenant le livre Arguing with Zombies de Peter Krugman Organisés en 18 chapitres et accompagnés de courts essais inédits, Lutter contre les zombies regroupe des articles qui, bien qu’écrits au fil des décennies, demeurent toujours aussi incisifs. (iStock)

Si le monde compte nombre d’économistes éminents, estimés par leurs pairs et écoutés par les têtes dirigeantes, aucun n’a la célébrité de Paul Krugman. Éditorialiste au New York Times et professeur titulaire d’économie à la City University de New York, il doit être le seul prix Nobel à avoir inspiré (honneur insigne) un tweet de Donald Trump réclamant son congédiement immédiat. La virulence de ses chroniques ne pouvait que lui attirer l’inimitié du président américain, comme d’ailleurs de tout le Parti républicain. Krugman est cet oiseau rare, à la fois fin penseur et talentueux communicateur. Dans sa tribune, il attaque sans merci les fausses croyances propagées par la droite pour servir les intérêts républicains, ces « idées-zombies » qui devraient être enterrées depuis longtemps, mais qui « continuent inexorablement à s’insinuer dans l’esprit des citoyens ». Dans l’Amérique du XXIe siècle, écrit Krugman dans Arguing With Zombies (Lutter contre les zombies), nouveau recueil de ses chroniques, aucune proposition économique ne saurait être jugée sur ses mérites propres : « Tout est devenu politique. » 

Ironie de la chose, le gradualisme de Krugman et sa défense des marchés réglementés sont décriés par la gauche progressiste presque autant que par la droite. À l’en croire, son adhésion à la modération keynésienne (relance par l’État en période de crise, compressions prudentes en période de boom), 84 ans après la parution de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de l’Anglais John Maynard Keynes, fait de lui un conservateur. Disons-le, Krugman a débuté comme conseiller économique à la Maison-Blanche sous Ronald Reagan. Mais en 1999, neuf ans avant le prix Nobel, le temps avait passé, et c’est la rage au ventre qu’il entamait sa collaboration avec le New York Times, dès lors son terrain de guerre contre les morts-vivants idéologiques.

Krugman a créé le terme « idée-zombie » pour parler du mythe, maintes fois réfuté, maintes fois ravivé, voulant que les Canadiens traversent la frontière en masse pour se faire soigner aux États-Unis. Il applique son néologisme, depuis, à d’autres croyances de la même farine : les « tribunaux de la mort » de l’Obamacare, la psychose autour du déficit ou encore, « zombie suprême », la prospérité générale qui découlerait d’un allègement du fardeau fiscal des mieux nantis.

Organisés en 18 chapitres et accompagnés de courts essais inédits, les articles rassemblés s’échelonnent sur plusieurs décennies. Les thèmes, pourtant, se recoupent. Guerres commerciales, Trump, effroi devant le socialisme. Pour Krugman, tout se tient. Donald Trump n’est pas une aberration, mais la quintessence du Parti républicain. S’il l’a transformé en une sorte de secte, il n’a pas rendu plus exécrables ses politiques ni ne l’a détourné de ses fondements – c’était déjà fait.

C’est pourquoi les chroniques de Krugman brillent par leur actualité. Sa critique des politiques républicaines à l’époque de George W. Bush, notamment, n’a pas pris une ride. Dès 1992, il s’insurge contre les entourloupettes rhétoriques de la droite, pareilles aux « faits alternatifs » d’aujourd’hui. L’économiste évoque souvent le « zombie suprême » qui dominera le débat sur les politiques socioéconomiques américaines avant et après les élections de novembre. Si Trump triomphe, affirme Krugman, son administration et ses alliés au Congrès n’hésiteront pas à s’attaquer à la sécurité sociale et à l’assurance maladie afin d’amenuiser un lourd déficit, grossi en 2017 par des dégrèvements fiscaux pourtant censés s’autofinancer.

Le zombie ultime pour Krugman? Les avantages de la réduction des impôts payés par les riches.

Krugman donne ses quatre règles d’or de l’analyste politique. Les deux premières (« privilégier les sujets simples » et « utiliser un langage courant ») ne prêtent pas à controverse, mais les deux autres (« dénoncer les arguments malhonnêtes » et « révéler les conflits d’intérêts sous-jacents ») sont sans doute plus polémiques. Il exhorte également les journalistes, tout comme ses collègues (les experts), à éviter l’impartialité exagérée. Son exemple préféré? Admettre la divergence d’opinions sur la forme de la Terre. À ses yeux, ceux qui la déclarent plate ne méritent pas la moindre couverture médiatique. 

Ces règles reflètent ce que pense Krugman de certains analystes conservateurs inébranlables. S’il écoute volontiers les arguments de ses collègues économistes conservateurs modérés, il s’insurge contre de prétendus analystes au conservatisme outrancier, qui ne répandent pas des idées qu’ils croient vraies. Non. Comme on l’a vu à l’ère Reagan, elles sont fausses, et ils le savent pertinemment. Krugman juge ces analystes plus traîtres encore que les partisans de la Terre plate. Il avance que la théorie du ruissellement (la richesse cascadera vers le bas, dit-on) est détournée à des fins politiques pour favoriser les plus fortunés. C’est un prétexte commode pour réduire les dépenses sociales. 

Accuser ses adversaires d’être non pas dans l’erreur, mais mal intentionnés, c’est courir le risque d’aliéner le peu d’électeurs américains encore neutres. À bien des égards, pourtant, Krugman ne fait que revenir à « l’économie politique », façon Adam Smith, le penseur écossais, éclipsée par ce qu’il nomme « le rêve technocratique », celui d’un analyste politiquement neutre aidant les décideurs à gouverner d’une main sûre. Dans une Amérique clivée, sous le joug des médias, les électeurs centristes se font rares. Mais pour Krugman, l’adjectif « politique » doit s’inscrire au cœur de toute réflexion sur l’avenir du pays. Ses analyses éclairantes et incisives le montrent, on ne peut dissocier l’économie du politique. 

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