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Portrait de Peter Gilgan
Articles de fond
Magazine Pivot

Que bâtira Peter Gilgan demain?

Entretien avec le plus fortuné des CPA du Canada : philanthropie, crise du logement, nouvelle société de gestion d’actifs.

Portrait de Peter GilganSelon Forbes, l’actif net de Peter Gilgan s’élèverait à 4 G$ US. (Photo Jake Sherman)

Dans la vive clarté d’une radieuse journée de février, c’est toute la beauté de la métropole qui se déploie au loin. Quelle vue! Le luxueux appartement terrasse de Peter Gilgan, au 55e étage du Four Seasons de Toronto, dans le chic quartier de Yorkville, est le lieu idéal pour contempler le paysage urbain qu’a façonné le promoteur immobilier. Depuis ses débuts, en 1978 à Burlington, son groupe, Mattamy Homes, a bâti plus de 100 000 maisons (Ontario, Alberta, États-Unis), et s’est ainsi hissé au rang de premier constructeur résidentiel dans sa catégorie en Amérique du Nord.

Et M. Gilgan, dont l’actif net s’élèverait à 4 G$ US selon Forbes, est devenu l’un des plus généreux philanthropes du Canada. Il a offert 100 M$, en juin 2019, pour bâtir une nouvelle aile à l’hôpital pour enfants de Toronto, le SickKids. Ce père de huit enfants a franchi un autre jalon l’an dernier : à 69 ans, il a réorganisé Mattamy (ainsi nommée en l’honneur de ses deux premiers enfants, Matt et Amy) pour créer une nouvelle société mère, Mattamy Asset Management (MAM), dont il sera président et chef de la direction. MAM détiendra les entreprises de construction résidentielle canadienne et américaine en tant que sociétés autonomes, et se positionnera dans diverses catégories d’actifs, des fonds de capital-investissement aux entreprises en démarrage. M. Gilgan s’est entretenu avec Pivot du marché immobilier canadien, des premiers investissements de MAM et des joies contemplatives du cyclotourisme.

PIVOT : Avant de devenir promoteur immobilier, vous avez exercé le métier de professionnel comptable. Une école utile?
J’ai eu la chance de travailler auprès d’entrepreneurs. Certains m’ont pris pour confident, et j’ai tiré des leçons de leurs erreurs et de leurs réussites. J’ai pu observer différents styles de gestion, certains fondés sur la peur, d’autres sur le tâtonnement, d’autres sur l’inspiration. Cette formation d’une valeur inestimable, j’en ai profité tout à fait gratuitement.

PIVOT : Comment définir votre propre style de gestion?
Peter Gilgan (PG) :
La gestion par l’inspiration : un discours convaincu et convaincant sur la validité et la justesse du travail à accomplir, qui motive les joueurs, appelés à se passer le ballon pour marquer des buts.

PIVOT : Il vous fallait une équipe de confiance. Comment sélectionner ses coéquipiers?
(PG) :
À Toronto, la plupart de nos employés sont là depuis 20 ans, je crois. Je m’engage à offrir non pas un emploi, mais une carrière, et c’est une optique qui nous distingue, dans l’immobilier. Malgré les inévitables changements de cap de l’économie, notre entreprise, elle, tient le coup et poursuit ses activités. Nos employés travaillent pour Mattamy, mais parfois, c’est Mattamy qui travaille pour eux, d’où la nécessité d’une planification irréprochable.

Peter Gilgan assis sur un canapéAu fil des années, Peter Gilgan a donné plus de 260 M$ à différentes causes. (Photo Jake Sherman)

PIVOT : À Toronto, les prix s’envolent à nouveau, et on a franchi la barre des 10 %. Un rythme qui va s’essouffler?
(PG) :
Une croissance modérée des prix dans l’immobilier, c’est tout à fait sain, et ce facteur a joué le rôle de locomotive économique au siècle dernier : on rêvait de devenir propriétaire, on redoublait d’efforts pour y parvenir. J’aimerais que la tendance haussière demeure une constante.

PIVOT : Accéder à la propriété, un rêve qui s’est transformé?
(PG) :
Encore aujourd’hui, chacun veut devenir propriétaire, mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. Il est vrai que, pour bien des jeunes, la propriété représente autre chose que pour leurs parents, du point de vue de la vie urbaine. Ce n’était auparavant qu’un moyen d’intégrer le marché, et non un premier choix.

PIVOT : Certains marchés immobiliers seraient-ils devenus inaccessibles?
(PG) :
Nous vivons une crise de disponibilité qui a engendré une crise d’accessibilité. Il y a deux problèmes. Les délais d’approbation des projets immobiliers, qui s’allongent, ont doublé voire triplé en 30 ans. En plus, les terrains à bâtir se raréfient dans les zones constructibles, d’où une grave pénurie, qui ne se résorbera pas de notre vivant. Ajoutons que le prix des maisons monte plus vite que les salaires. Toutefois, les taux hypothécaires sont au plancher, alors les mensualités n’ont pas tellement grimpé, mais s’ils remontaient à 8 % ou à 10 %, les choses changeraient du tout au tout.

PIVOT : Pourquoi avoir fondé Mattamy Asset Management (MAM)?
(PG) :
Pour ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. J’ai travaillé toute ma vie dans le résidentiel, mais je songe à l’avenir, et la prudence dicte une certaine diversification. Je tiens à préciser que, contrairement à ce que laissent entendre certains observateurs, nous n’avons nullement l’intention de réduire l’ampleur de nos projets domiciliaires. 

PIVOT : Vers quels types d’investissements MAM s’est-elle tournée? Vous êtes resté avare de détails.
(PG) :
Nous n’en sommes qu’au tout début. Nous avons fondé un solide comité, qui prend en main l’orientation des placements passifs. Une petite part a été attribuée à des titres de premier ordre; une partie va à des projets d’entreprise, et c’est dans ce créneau, compte tenu de mon expérience, que je travaille le plus. Enfin, nous investissons aussi dans de jeunes pousses, y compris nos propres entreprises en démarrage.

« Je suis ravi de pouvoir donner autre chose que des fonds. Les interventions de suivi comptent tout autant. »

PIVOT : Vous avez donné plus de 260 M$ à différentes causes, notamment dans le domaine de la santé. Au-delà de la pérennité de votre nom de famille, vous vouliez que vos gestes de générosité s’enracinent dans la collectivité. Avez-vous trouvé un nouveau projet porteur?
(PG) :
Oui. De concert avec l’organisme WE, nous participons à la construction d’un collège au Kenya. Nous participons au financement de deux des huit facultés : le génie civil ainsi que le commerce et les TI. J’espère amener certains de mes collègues et amis, des gens qui ont réussi dans la vie et d’excellents ingénieurs, à y devenir chargés de cours. Je suis ravi de pouvoir donner autre chose que des fonds, car sans argent, rien ne se fait, mais les interventions de suivi comptent tout autant.

PIVOT : Avez-vous déjà songé à vous engager, comme Bill Gates et Warren Buffett, à donner l’essentiel de votre fortune?
(PG) :
C’est un geste magnifique, mais je ne suis pas de leur calibre, et mon propre avoir, en comparaison, ne serait qu’une goutte d’eau dans l’océan. Néanmoins, je crois à l’idée d’un patrimoine qui dure et fructifie sur plusieurs générations, qui sert à faire le bien, c’est-à-dire à encore élargir l’envergure des dons, mais aussi à favoriser la création d’emplois ici même. Sans capital, point d’emplois.

PIVOT : Avant les élections de 2018 en Ontario, Mattamy et d’autres promoteurs ont versé des contributions au groupe Ontario Proud, controversé, qui luttait contre les libéraux de Kathleen Wynne. Quelles étaient vos intentions?
(PG) :
Évidemment, le secteur de l’habitation me tient à cœur. On y réalise des projets qui doivent apporter une certaine rentabilité, certes, mais c’est aussi, j’en suis convaincu, une noble activité : bien se loger, n’est-ce pas la clé de la santé, du bien-être? À l’approche des élections, ce sont les problèmes de disponibilité et d’accessibilité qui nous inquiétaient, et nous avons pensé trouver en ce groupe un porte-parole qui présenterait nos préoccupations. Il reste que les propos et les gestes de certains intervenants échappaient à notre volonté, et que nous ne partagions pas leur point de vue sur d’autres enjeux. La réaction de nos parties prenantes nous a amenés à réviser notre position. Nous ne cesserons jamais de faire valoir nos points de vue sur la disponibilité et l’accessibilité du logement, mais nous avons décidé de ne pas réitérer ce genre de contribution à un groupe de pression. 

PIVOT : Passionné de cyclisme, vous avez roulé par monts et par vaux au profit d’œuvres de bienfaisance. Pourquoi le vélo?
(PG) :
Par où commencer? D’abord, l’entraînement physique et cardiovasculaire; ensuite, la camaraderie, on pédale avec ses amis. Et puis, c’est l’idéal pour découvrir un paysage. On oublie ses soucis, et j’ai vécu des moments de méditation extraordinaires à parcourir des chemins de campagne en Italie ou Dieu sait où. Une heure en selle, et je me perds tout bonnement dans mes pensées; j’en ressors lucide, les idées mises au net. 

LOGEMENT AU CANADA 

Le marché de l’habitation au Canada est-il en voie de s’effondrer? Voyez ce qu’en dit Francis Fong, économiste en chef à CPA Canada dans son rapport Le point sur le marché du logement et l’endettement des ménages au Canada. Découvrez aussi différents types de fraudes immobilières dont les propriétaires font les frais, souvent sans en être conscients.