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Spock tenant un téléphone portable sur fond bleu
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Magazine Pivot

Des entreprises engagent des écrivains de science-fiction pour imaginer l’avenir

Les organisations trouvent de nouvelles façons de suivre le rythme des innovations.

Spock tenant un téléphone portable sur fond bleuNike, Google et Apple font appel à l’imagination fertile d’auteurs de science-fiction; leurs récits sur mesure esquissent les mondes qui attendent produits, services et stratégies. (Getty)

Pour lire l’avenir, oubliez la boule de cristal; prenez plutôt une œuvre de science-fiction. Grâce à la redoutable intuition de créateurs visionnaires, les classiques du genre avaient annoncé l’omniprésence des cellulaires (Star Trek), des oreillettes (Fahrenheit 451) et même des antidépresseurs (Le meilleur des mondes). Pas étonnant, donc, qu’entreprises et grandes organisations – qui ont recours aux prévisions et à l’analyse des tendances pour garder une longueur d’avance – se soient tournées vers cet univers. En 2015, Microsoft a même orchestré la publication d’une anthologie de science-fiction : pleins feux sur l’informatique quantique et l’apprentissage machine. Et le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, qui a d’ailleurs fait une brève apparition dans Star Trek Au-Delà, s’est inspiré du roman L’âge de diamant (Neal Stephenson, 1995) pour créer la liseuse Kindle.

Le prototypage par la science-fiction a le vent dans les voiles. Des colosses comme Nike, Google, Apple, Ford et Visa, auxquels s’ajoutent l’OTAN et l’armée française, ont fait appel à l’imagination fertile des auteurs; leurs récits sur mesure esquissent les mondes qui attendent produits, services et stratégies.

De fait, des cabinets-conseils se consacrent à ce que le technologue Julian Bleecker a qualifié en 2009 de design fiction; selon ce principe, des créateurs construisent des solutions. Prenons l’exemple de SciFutures, fondée à Los Angeles par Ari Popper, expert consulté par les géantes du palmarès Fortune 500 et fervent amateur de science-fiction. Elle expose les préoccupations du client (pour Visa, c’était l’avenir des paiements) à une équipe d’auteurs qui concocte plusieurs récits futuristes dont s’inspirera l’entité cliente. Moyennant un supplément, SciFutures crée des vidéos, des romans graphiques, et même des environnements réels et non virtuels. (Pour Visa, on a construit un « salon du futur » où les clients règlent leurs achats sans quitter leur chez-soi, par commande vocale.)

« Nous n’essayons pas de prédire l’avenir », explique M. Popper, qui a créé SciFutures dans le cadre d’un cours de création littéraire à l’Université de Californie à Los Angeles. « La plupart des entreprises adoptent une échelle linéaire et des innovations progressives. Or, le récit nous fait spéculer sur la réalité dans 5, 10 ans, pour comprendre comment bâtir un avenir qui réservera aux clients de nouveaux avantages. Nous examinons les interactions possibles des technologies ainsi que le comportement des consommateurs. En termes de hockey, ajoute-t-il, nous les aidons à aller là où ira la rondelle, à anticiper. »

Eliot Peper, auteur de huit romans de science-fiction, dont la série Uncommon sur de jeunes entrepreneurs des technos qui démantèlent un complot financier international, est de ceux qui gardent l’œil sur la trajectoire de la rondelle. Ce consultant californien a rédigé des récits pour plusieurs sociétés Fortune 100 et a été invité par Google et Qualcomm à donner des conférences.

M. Peper a travaillé dans le domaine du capital-risque et pour plusieurs entreprises émergentes des technologies, où il a vu « qu’il est pertinent, pour une équipe de direction, d’embaucher des auteurs de science-fiction ». Il va jusqu’à dire que nous traversons une époque où certains leaders sont « pris de frayeur ». Certes, notre civilisation produit depuis toujours un filet régulier d’innovations (de l’égreneuse de coton au moteur à explosion), mais le siècle dernier a été marqué par l’irruption fulgurante de technologies de rupture. « Pour les dirigeants, c’est un défi de taille, d’où une anxiété généralisée, poursuit-il. En présentant un monde différent du nôtre, la science-fiction nous force à explorer des terres inconnues. Quel cataclysme inattendu pointe à l’horizon? Envisager les possibles, c’est se prémunir contre les imprévus, pour mieux tenir tête aux concurrents. » Madeline Ashby, futurologue et auteure de science-fiction de Toronto, abonde dans le même sens : « Nous mettons en lumière des tensions, des idées et des problèmes que la culture institutionnelle préférerait peut-être passer sous silence. »

M. Peper souligne un autre atout proposé par les écrivains. Plus que jamais, les dirigeants ont des masses de données à portée de la main, sans nécessairement savoir s’en servir pour bâtir l’avenir. « Les rapports sur les tendances – pensons aux réflexions de consultants comme McKinsey ou de l’ONU – et les livres blancs de grandes sociétés sur ce qui nous attend en 2050 ne font qu’extrapoler à partir du statu quo, constate M. Peper. Le torrent de données dont disposent les équipes de direction est certes utile, mais nul ne sait de quoi aura vraiment l’air le monde, ni quand il changera. »

M. Peper est formel : des Goliath comme Nike aux entités de moindre envergure, même les sociétés les plus innovantes ont tout intérêt à tabler sur le récit, constante de nos civilisations, au-delà des bases de données impersonnelles et des analyses de tendances. « La science-fiction ne fait pas qu’illustrer les changements que pourraient connaître les grands systèmes et institutions; elle nous plonge dans la richesse et la profondeur du ressenti vécu dans un tel futur et en montre l’incidence sur les comportements. Or, ces derniers sont la véritable cible des entreprises », résume-t-il. Après tout, comme le fait valoir Mme Ashby, « la science-fiction s’interroge sur l’être humain et en sonde les tréfonds ».

UN PAS EN AVANT

Le monde évolue rapidement, comme notre secteur d’activité. Pour en savoir plus sur l’évolution possible de la profession comptable, consultez sur notre site le projet « Voir demain : Réimaginer la profession » et le rapport La voie à suivre.