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Chuck Rifici mangeant un gâteau
Articles de fond
Magazine Pivot

Rage de pot

On le boit, on le vapote, on le déguste. Tout change vite dans le marché du cannabis, et Chuck Rifici veut sa part du gâteau.

Chuck Rifici mangeant un gâteauChuck Rifici, CPA, 45 ans, est le cofondateur de Tweed, pionnière du cannabis légal au Canada, sauf qu’il n’y travaille plus : il a été remercié avant que l’entreprise devienne Canopy Growth, principal producteur de cannabis du monde. Il est plutôt le fondateur, le président et le chef de la direction de Nesta Holding Co., société de capital-investissement axée sur l’industrie du cannabis. (Photos Guillaume Simoneau)

En 2013, gourmand, Chuck Rifici achète une chocolaterie de 500 000 pi2 à Smiths Falls (Ontario), vide depuis le départ de Hershey cinq ans avant. Une enseigne délavée invite le public à visiter les lieux; un surveillant fait sa ronde solitaire, deux fois par jour. On attend un autre fabricant de chocolat, prêt à reprendre le flambeau, mais c’est un cannabiculteur qui frappe à la porte.

M. Rifici, CPA, 45 ans, cofondateur de Tweed, pionnière du cannabis légal au Canada, et son associé d’alors, Bruce Linton, déboursent 5 M$ pour acquérir les installations. Ils rajoutent quelques millions pour les transformer en véritable royaume du cannabis, équipé de salles de culture à atmosphère contrôlée et de chambres fortes pour stocker l’or vert. Après une visite des lieux, certains journalistes taquins surnomment M. Rifici « Willy Wonka » (le personnage du film Charlie et la Chocolaterie).

Sauf que Chuck Rifici ne travaille plus chez Tweed : il a été remercié avant que l’entreprise devienne Canopy Growth, principal producteur de cannabis du monde. Il est plutôt le fondateur, le président et le chef de la direction de Nesta Holding Co., société de capital-investissement axée sur l’industrie du cannabis. Sept ans après les faits, sa décision d’acheter l’usine de Smiths Falls semble prémonitoire : on y fabrique à nouveau du chocolat – cette fois-ci, infusé de tétrahydrocannabinol (le THC, composé psychoactif) et de cannabidiol (le CBD, substance apaisante, sans effets psychoactifs). Car le 17 octobre 2019, un an après avoir légalisé la marijuana récréative, le fédéral a levé l’interdiction sur les produits comestibles et autres dérivés : le cannabis, on le boira, on le grignotera, on le dégustera. Et la valse des concentrés, onguents, teintures et autres a commencé. Bonbons, tisanes, capsules suivront. Muscles endoloris? Appliquez une pommade et massez-les. Des modes de consommation discrets qu’on pratique sans attirer les regards réprobateurs. Si les Canadiens peuvent aussi « vapoter du cannabis », des restrictions devraient être émises sous peu. En effet, certaines provinces ont interdit les produits de vapotage et la publicité, après un nombre stupéfiant de décès et d’hospitalisations liés en grande partie à des cartouches vendues sur le marché noir. Santé Canada surveille la situation.

Chuck Rifici tenant un ours gommeuxLes Canadiens peuvent maintenant légalement consommer du cannabis sous diverses formes : gommes à mâcher, thé à infuser, capsule à ingérer, pommade à appliquer sur un muscle endolori... Les nouvelles utilisations sont plus discrètes et moins stigmatisantes que, par exemple, fumer un joint.

La phase 2.0 de la légalisation ouvrira des débouchés encore plus vastes que la première vague. M. Rifici et ses homologues misent dessus pour séduire, outre les fumeurs actuels de cannabis, les 83 % de la population qui n’y touchent pas encore. Les nouveaux clients pourraient se compter par millions, attirés notamment par les vertus thérapeutiques de la marijuana. Les nouveaux produits représenteront plus de la moitié de la consommation canadienne d’ici 2025, selon EY, pour un total annuel de 2,7 G$, d’après Deloitte.

Les producteurs qui convoitent le marché 2.0 doivent surmonter bien des obstacles – réglementation stricte, concurrence féroce, réticence des investisseurs. M. Rifici espère néanmoins toucher le gros lot. Grâce à Nesta, il contrôle et oriente tous les aspects de la chaîne de valeur : culture, extraction, recherche, développement, vente au détail. Auxly Cannabis Group, dont il est le président et qui a été fondée par Nesta, affiche une capitalisation boursière de 375 M$. On est loin de Canopy Growth (plus de 8 G$) ou de l’edmontonienne Aurora Cannabis (plus de 3 G$), mais l’heure de gloire semble arrivée pour plusieurs marques du portefeuille d’Auxly, qui parie sur les vaporisateurs-stylos, les dérivés comestibles et autres nouveautés. « J’en suis convaincu, nos marques s’inscriront dans la durée. Qui sait, l’une d’elles pourrait devenir emblématique, le Johnnie Walker du cannabis? » De Willy Wonka à Johnnie Walker, on reste sur le thème du gentleman en redingote.

Père de deux enfants, Chuck Rifici arbore une épaisse barbe rousse grisonnante. À ses tenues sobres (jeans, tee-shirts) s’opposent de rutilantes machines : en juin dernier, il pilotait sa Ferrari au Gumball 3000, un rallye de passionnés entre la Grèce et l’Espagne. Un après-midi frisquet d’octobre, il gare son autre bolide, une Lamborghini noire, devant les chics bureaux de Nesta à Ottawa, où une vingtaine de jeunes employés pianotent sur leur portable. Dans son bureau, une affiche pince-sans-rire : gare aux périls de la marijuana. C’est le seul indice qui laisse deviner qu’ici, on carbure au cannabis.

M. Rifici a atterri dans ce secteur par pur hasard. Adolescent, à Ottawa, il a vu les films du duo Cheech et Chong (Up In Smoke, The Corsican Brothers), mais sans jamais fumer un joint, dissuadé par le stéréotype du « poteux ». Dans les années 2000, après un baccalauréat en génie informatique à l’Université d’Ottawa, il décroche un MBA à l’Université Queen’s. Il devient devient comptable en 2008. Ian McKay, ancien de Queen’s, qui dirige Investir au Canada, organisme de promotion des investissements étrangers, souligne combien M. Rifici était doué. « C’était le plus doué d’entre nous. Il avait un sens inné des chiffres comme assise de la planification des affaires. Chuck n’hésitait pas à donner un coup de main aux autres qui faisaient leurs premiers pas en comptabilité. »

Chuck Rifici assis dans sa voitureChuck Rifici porte des tenues sobres – jeans, T-shirts et chandails à capuche – mais affectionne les voitures de sport, comme cette Lamborghini noire qu’il stationne devant le bureau de Nesta à Ottawa.

M. Rifici a été aux commandes des finances dans le secteur des TI, notamment chez TekSavvy (fournisseur de services Web) et Select Start Studios (créateur d’applications mobiles acquis par Shopify en 2012). Il lance à la blague : « Comme chef des finances, je ne valais pas grand-chose. J’avais un côté téméraire. » Joueur de poker à ses heures, il raffolait du frisson que suscite un pari sur l’incertitude. « Je suis un optimiste, mais j’avoue qu’à la barre des finances, mieux vaut prévoir le pire. »

Son audace le prédisposait à jouer un rôle de pionnier du « pot ». En 2011, M. McKay, alors directeur national du Parti libéral du Canada, lui propose de devenir directeur financier de l’organisation, notamment afin d’y remanier les méthodes de gestion financière. Heureux hasard : l’année suivante, le parti vote pour la légalisation du cannabis.

En parallèle, M. Rifici découvre les vertus du cannabis. En 2011, il tente d’attraper un objet hors de portée, s’étire un muscle du dos, puis s’évanouit de douleur. Le médecin lui prescrit de l’hydromorphone, un opioïde deux fois plus puissant que l’oxycodone. Bien vite, il constate qu’opioïdes et dépendance vont de pair. D’où l’idée de recourir au cannabis comme solution de rechange. « Cet incident a dissipé certains de mes préjugés. De fil en aiguille, à l’approche de la légalisation, j’ai décidé de me faire une place dans le marché. »

« L’une de nos marques pourrait devenir le Johnnie Walker du cannabis. »

M. Rifici se renseigne donc sur cette industrie en émergence : lecture de la réglementation sur le cannabis médicinal, participation à des congrès, visite d’installations de production de cannabis médicinal au Colorado, consultations auprès d’investisseurs et d’experts. Il devient vite un spécialiste du domaine. « Il a réagi avant tout le monde », avance M. McKay, l’un des actionnaires fondateurs de Tweed. « Il a su attirer des collaborateurs brillants, grâce à ses recherches et travaux réalisés en solitaire. »

C’est ainsi que M. Rifici a rencontré Bruce Linton, cofondateur de Tweed, qui, comme lui, a été remercié de l’entreprise qu’ils ont fondée ensemble. Le conseil d’administration de Tweed a mis M. Rifici à la porte en août 2014, prétextant le non-respect des objectifs d’expansion de l’entreprise. Ce dernier a intenté une poursuite pour congédiement injustifié; l’entreprise a répliqué par une demande reconventionnelle. Les deux procès ont depuis été abandonnés. Interrogé sur cette histoire mouvementée, M. Rifici demeure diplomate. « M. Linton et moi n’étions plus en mesure de travailler ensemble. Ses efforts ont porté leurs fruits, et l’entreprise a prospéré. » Pourtant, en 2019, le géant des boissons alcoolisées Constellation Brands, qui avait investi 5 G$ pour prendre le contrôle de Canopy Growth, a congédié M. Linton.

Évincé de sa propre entreprise, M. Rifici restait optimiste quant à l’avenir du secteur. « Il aurait pu jeter l’éponge et passer à autre chose, considère M. McKay. Mais il avait des atouts : sa compétence, ses connaissances, sa réputation, son expérience. Il savait qu’il restait de la place pour d’autres acteurs que Tweed et Canopy dans un marché élargi. »

Chuck Rifici assis dans son bureauLes bureaux de Nesta ressemblent à ceux de n’importe quelle jeune pousse : murs de verre, design épuré, 20 jeunes employés penchés sur des ordinateurs portables. Seul indice que l’entreprise est spécialisée dans le cannabis? Une affiche dans le bureau de Chuck Rifici mettant en garde, à la blague, contre « la folie du pot ».

L’industrie a bien changé depuis. En 2013, année de la fondation de Tweed, il n’existait qu’une poignée de producteurs autorisés au Canada. Ils sont maintenant plus de 200. La concurrence est rude, mais M. Rifici a davantage de troupes sur le terrain. Après l’aventure Tweed, il vend ses actions Canopy Growth pour fonder Nesta Holding Co. (Nesta est le second prénom du chanteur de reggae Bob Marley.) Ce fonds de capital-investissement détient en totalité ou en partie cinq entreprises. D’abord, Wikileaf (Seattle), site Web de comparaison des prix du cannabis. S’ajoutent Feather, société de vaporisateurs-stylos fondée par M. Rifici; Burb, détaillant britanno-colombien (produits du cannabis, vêtements et accessoires); et Dixie Brands, entreprise américaine qui vend déjà chocolats, bonbons gélifiés, menthes, pommades et autres produits infusés au cannabis. Enfin, il y a le joyau Auxly Cannabis Group, en soi toute une famille de marques : culture, vente, recherche et développement de produits en tout genre (aliments, boissons, gélules, cartouches pour vaporisateur et, bien sûr, « cocottes », c’est-à-dire les fleurs séchées qu’on fume). La capacité de production du réseau d’installations de culture d’Auxly, qu’elle possède seule ou en partenariat, s’élève à 100 000 kg de marijuana par année, soit 2,5 g par Canadien.

En 2018, les actions des producteurs comme Auxly montent en flèche. « Dès qu’on parlait de marijuana, l’argent coulait à flots; on pariait sur un rêve », explique Trisha LeBlanc, CPA, directrice nationale, services-conseils en cannabis, chez Grant Thornton. Mais depuis l’été 2019, les titres ont reculé. Ainsi, le principal FNB du cannabis a perdu la moitié de sa valeur dans l’année qui a suivi la légalisation.

Les observateurs demeurent imperturbables. La volatilité? On s’y attend. Les petits porteurs, craintifs, se précipitent quand tout monte pour mieux battre en retraite quand tout baisse. Ils fuient devant la moindre ombre au tableau; il suffit de résultats trimestriels décevants ou d’une infraction aux règlements. « Quand de telles nouvelles sortent, tout le marché chute, explique Mme LeBlanc. Les investisseurs, en quête d’une plus-value qui se fait attendre, ont perdu patience. » 

L’impatience est légitime. Les producteurs de cannabis étaient censés rouler sur l’or après la légalisation; mais la première année a plutôt été le théâtre d’échecs et de cafouillages. Les provinces ont lancé des réseaux de vente au détail hétéroclites et, vu la pénurie de marijuana, certains consommateurs ont dû patienter pendant des semaines. Nombre d’entre eux ont décidé de continuer à s’approvisionner sur les marchés noirs ou gris. De fait, la plupart des organismes de distribution provinciaux et territoriaux n’ont pas atteint le seuil de rentabilité. La Société ontarienne du cannabis, notamment, a inscrit une perte de 42 M$ pour l’exercice clos le 31 mars 2019. Les producteurs de cannabis ont eux aussi affiché des résultats décevants. Malgré l’engouement, rares sont ceux qui ont engrangé de vrais profits. Pire encore, les investisseurs institutionnels ne semblent pas enclins à leur faire confiance. Il est vrai que les banques canadiennes ont commencé à accorder des prêts et à mobiliser des capitaux dans le secteur, mais pour l’instant, ni les fonds communs ni les caisses de retraite ne se sont aventurés sur un terrain jugé glissant. « Les institutions gardent l’œil sur les flux de trésorerie, la rentabilité et la gouvernance », souligne Mitchell Osak, directeur national, services-conseils en cannabis, à MNP. « Elles ne les trouveront pas dans une industrie née il y a un an. »

Se démarquer sur le marché du 2.0 est primordial, mais difficile.

M. Rifici, à l’instar des autres acteurs, espère bien que le cannabis 2.0 ouvrira de nouvelles perspectives. La deuxième phase de la légalisation promet un renouvellement de la clientèle et des ventes. Selon une étude d’EY et de Lift & Co., entreprise qui prend le pouls du marché du cannabis, les consommateurs canadiens demandaient depuis longtemps des produits comestibles, bien avant leur légalisation. La deuxième étape de la légalisation devrait aussi aplanir les difficultés de financement : les entreprises ont grand besoin de capitaux. D’ailleurs, depuis deux ans, des géants de l’alcool, du tabac et des médicaments, comme Molson et le cigarettier Altria, ont investi des milliards dans des sociétés de cannabis canadiennes, dont Hexo et Cronos. Ces partenariats visent en priorité le développement de produits 2.0, aussi bien des vaporisateurs (inhalation, sur le principe du vapotage) que des bières et boissons en tout genre. « Ces grandes sociétés réagissent, sachant que les nouveautés risquent de bousculer leurs propres produits, fait remarquer Mme LeBlanc. C’est une manœuvre stratégique. » Auxly, l’une des sociétés de M. Rifici, a reçu 123 M$ d’Imperial Brands en juillet 2019; l’entente donne à l’éventail de marques de la jeune entreprise un accès à la technologie de vapotage brevetée du grand cigarettier britannique. « Hier encore dans l’ombre, Auxly se détache du lot. Et puis, les observateurs et investisseurs l’ont compris : si Imperial a pris une participation, c’est du sérieux. »

Dans un marché encombré, se démarquer devient primordial. Les entreprises redoublent d’efforts, mais rien n’est gagné d’avance, dans un contexte où Santé Canada exige le respect de règles draconiennes. La publicité? Encadrée avec rigueur. Les emballages? Tous normalisés. Le consommateur n’a pour ainsi dire aucun moyen de distinguer les bonbons des divers concurrents. À peine 13 % des Canadiens sondés par Deloitte cherchent une marque en particulier; l’idée de la fidélité à une marque s’évanouit en fumée. La période d’essais-erreurs, où les consommateurs découvriront peu à peu leurs produits, formats et saveurs préférés, reste à venir. « Chacun a sa propre idée sur la segmentation du marché, sur les gammes à décliner pour satisfaire les acheteurs, explique M. Rifici. Nous les connaîtrons une fois les divers produits commercialisés; les clients feront leurs choix et dicteront l’évolution de l’offre. »

Les rares élues qui auront réussi à créer l’engouement risquent d’avoir du mal à répondre à la demande. Gare aux ruptures de stock. On en revient aux principes de base : l’entreprise élargira la capacité de production, optimisera la chaîne d’approvisionnement et se dotera d’une infrastructure solide pour éviter de laisser les clients sur leur faim.

M. Osak conseille par ailleurs aux sociétés de cannabis de rester souples. « L’industrie ignore ce que l’avenir lui réserve sur le plan réglementaire. Les contraintes peuvent changer sans préavis. » Par exemple, en 2019, Santé Canada a refondu les formalités de demande de licence et remanié les règles qui encadrent les produits 2.0. Dans un contexte aussi imprévisible, « le producteur qui s’en tient à une stratégie rigide court à sa perte. Mieux vaut rester flexible, réagir à mesure. »

Au-delà du resserrement de la réglemen­tation, M. Rifici, comme tous les entrepreneurs du milieu, voit poindre à l’horizon un grave danger : la concurrence internationale. Première grande économie à légaliser la marijuana, le Canada dispose de l’avantage du précurseur. Pour encore quelque temps. « On estime que les autorités fédérales américaines envisagent d’emboîter le pas; reste à savoir quand et comment », avance Mme LeBlanc. Logiquement, on adoptera une approche de libre marché, au cadre réglementaire assoupli. Publicités tapageuses, emballages aux couleurs vives, recours à des célébrités, tous les moyens seront bons. « Dans certains États, les entreprises rivaliseront d’ingéniosité, mais au Canada, il sera difficile d’en faire autant, dans un marché en évolution », affirme Luke Biles, CPA. Il a été contrôleur et directeur à l’exploitation d’un producteur de cannabis, et il dirige les services-conseils en cannabis de MNP sur l’île de Vancouver. Les entreprises américaines risquent de prendre de vitesse leurs concurrentes canadiennes; elles siphonneront le capital et les parts de marché, dit-il.

Une catastrophe pour certains producteurs canadiens. « Si le cannabis est légalisé à l’échelle fédérale aux États-Unis, les entreprises d’ici qui ne se sont pas assuré une position solide et durable d’ici là risquent d’être dépassées », souligne un rapport de Deloitte de mai 2019. Les auteurs prédisent la disparition éventuelle de la moitié des producteurs actuels. M. Osak confirme : « Le rouleau compresseur avance, et bien des entreprises d’ici éprouveront des difficultés. Certaines réussiront-elles à tenir tête, à l’échelle mondiale? Absolument. Il en existe déjà. »

M. Rifici en est convaincu, Auxly sera de celles qui se tailleront un franc succès. Optimiste invétéré, il prévoit qu’une cinquantaine de pays auront légalisé la marijuana d’ici 2025. La concurrence s’intensifiera, mais le marché s’élargira. Il s’y prépare : en Uruguay, Auxly cultive déjà le chanvre indien en champ, et l’entreprise a des vues sur l’Europe. « Il reste des capitaux à mobiliser au Royaume-Uni et en Europe. D’ici trois à cinq ans, des occasions remarquables s’y présenteront. »

Si le marché prend de l’ampleur et se mondialise, M. Rifici s’appuiera sur ses atouts pour s’y engager résolument : son bagage, sa réputation, son carnet d’adresses seront aussi mis à profit. Les précurseurs comme lui qui réussiront à établir des partenariats mondiaux « seront aux premières loges », croit M. Osak. On imagine que, dans quelques années, des entrepreneurs d’Europe et d’ailleurs, en quête d’un passeport pour l’univers du cannabis, feront appel au Willy Wonka de la marijuana.


Les pionniers

Trois CPA qui façonnent l’industrie du cannabis.

DAVE DIPERSIO 
Premier vice-président, Services généraux, Société des alcools de la Nouvelle-Écosse
Halifax

Dave DiPersio a veillé à la mise en place du réseau de vente au détail en Nouvelle-Écosse : ouverture de 12 boutiques (la plupart intégrées à des points de vente de vins et spiritueux), création d’un portail de commerce en ligne, gestion de la chaîne d’approvisionnement, de l’entreposage et de la distribution.

Cannabis 2.0 :
« Nous prévoyons un virage plutôt lent. Le grand défi reste de bien informer la clientèle. La question est vaste : usages prévus, allergènes, gluten, gazéification, caféine? »
Première fois : « Je n’ai jamais consommé. À mon arrivée, j’avais tout à apprendre. Comme entrée en matière, j’ai mis de l’origan dans un vaporisateur pour comprendre le principe. »

KASIA MALZ
Directrice financière, Lift & Co.
Toronto

Kasia Malz prend en main (entre autres) la stratégie financière et les relations avec les investisseurs à Lift & Co., qui analyse le marché du cannabis; Lift publie des évaluations de produits en ligne, organise des activités et forme le personnel de vente au détail.

Cannabis 2.0 :
« C’est déjà difficile de s’y retrouver, entre les variétés, les marques, le CBD et le THC. Les marques devront fournir davantage de précisions. Nos analyses de données les aident à brosser le portrait du consommateur et à sonder ses opinions. »
Première fois : « Je n’y avais guère touché. Mais depuis mon arrivée ici, je me suis familiarisée avec les différents types de produits et j’ai découvert ce qui me convenait. »

TRANG TRINH
Fondatrice et chef de la direction, TREC Brands
Toronto

Trang Trinh veille sur trois marques de cannabis TREC : Blissed, pensée pour les femmes; Wink, plutôt haut de gamme; et Thumbs Up Brand, qui freine la progression du marché noir en offrant de la qualité au meilleur prix. Les trois donnent 10 % de leur bénéfice brut à des initiatives transformatrices.

Cannabis 2.0 :
« On pense créer toute une panoplie de produits novateurs : lotions, thés, chocolats. Pour certains consommateurs qui ne se voient pas vraiment fumer un joint, ce sera un moyen de faire l’essai de la marijuana. »
Première fois : « Au secondaire, mon cousin m’a demandé de remettre un paquet à un élève de ma classe, en échange d’argent. Quand j’ai découvert que c’était du “pot”, j’étais morte de honte. J’en ai pleuré. »