Passer au contenu principal
Images aléatoires de personnages de télévision sur un fond de feuille d'érable
Articles de fond
Magazine Pivot

Le Canada sort gagnant de la rivalité entre diffuseurs en continu

Portée par la multiplication des contenus sur Netflix et autres plateformes, l’industrie de la télévision et du cinéma vole la vedette au pays.

Images aléatoires de personnages de télévision sur un fond de feuille d'érableLes Américains ont compris qu’ils avaient avantage à produire leurs films et émissions au Canada, séduits par les incitatifs fiscaux fédéraux et provinciaux, la faiblesse du huard et la stabilité du contexte politique. (Illustration Gluekit)

En 2015, John Landgraf, chef de la direction du réseau FX, faisait valoir que le marché télévisuel arrivait à saturation. « Les émissions en tout genre pullulent », déclarait-il, évoquant la diffusion de quelque 400 séries originales aux États-Unis cette année-là. Il entrevoyait un déclin inévitable « dans un an ou deux ».

Eh bien, non seulement la bulle n’a pas éclaté, mais elle a gonflé. Aux États-Unis, on a présenté 495 séries originales en 2018, un sommet. Pour la première fois, les Netflix et Amazon de ce monde se partagent la plus grosse part du gâteau. Et l’industrie cinématographique et télévisuelle canadienne est conviée au buffet.

C’est un secteur qui a le vent en poupe, comme en témoigne un volume record de 8,92 G$ en 2017-2018. Une croissance fulgurante, qui dépasse 40 % sur 10 ans. Cette expansion accélérée, on la doit principalement à Netflix, qui a popularisé la télédiffusion en continu, aussi appelée service par contournement : des productions conçues par – ou pour – les fournisseurs en ligne, ce qui élimine l’abonnement aux services de câblodistribution ou de télédiffusion. Internet rafle la mise. Depuis 2014, le nombre de séries originales diffusées en continu est passé de 33 à 160, un bond de 385 %.

Côté lieux de tournage, les Américains ont vite compris qu’ils avaient avantage à produire leurs films et émissions chez nous, séduits par les incitatifs fiscaux fédéraux et provinciaux, la faiblesse du huard et la stabilité du contexte politique. (Sauf exception, produire à Vancouver, Toronto ou Montréal coûte moins cher qu’à Los Angeles.) Mais la masse de productions pour diffusion en continu a fait monter les enchères. « Les diffuseurs programment des émissions jour et nuit, sans contrainte de grille horaire », constate Marguerite Pigott, commissaire au cinéma à la Ville de Toronto. « La donne a changé. »

Selon Marguerite Pigott, commissaire au cinéma à la ville de Toronto, l’industrie a grand besoin de comptables de production.

La montée de la diffusion en continu se répercute d’un océan à l’autre. L’an dernier, l’américaine CBS, qui a lancé son service en continu All Access en 2014, a loué 260 000 pi2 de studio dans l’ancien entrepôt de Kraft Canada à Mississauga. C’est le plus vaste espace du genre occupé par un diffuseur américain en sol canadien. Deux grands noms des médias canadiens, Frank Sicoli et Dominic Sciullo, ont investi 100 M$ pour construire un studio de 500 000 pi2 à Markham. Le Bureau du cinéma d’Ottawa s’est associé à TriBro Studios de Toronto pour convertir en gigantesque complexe de production un ancien centre de recherche du gouvernement, en périphérie de la capitale nationale. En Colombie-Britannique, où Vancouver fait depuis longtemps office d’Hollywood du Nord, l’industrie a progressé de 40 % entre les exercices 2015-2016 et 2016-2017. Enfin, selon la Canadian Media Producers Association, le secteur cinématographique et télévisuel mobilisait 179 000 travailleurs en 2018 (comparativement, CPA Canada compte 217 000 membres).

Jennifer Twiner McCarron, chef de la direction de la vancouvéroise Thunderbird Entertainment, évalue à 80 % la part de diffusion en continu de sa division de l’animation, Atomic Cartoons. « À l’époque des émissions traditionnelles, on se disputait la plage convoitée du samedi matin. » Désormais, les portes sont grandes ouvertes. « On peut vendre une émission aux diffuseurs en continu, sans égard au type d’appareil ou à l’heure d’écoute, dans plusieurs pays et langues. » Thunderbird a déjà doublé les effectifs de son nouveau studio, ouvert à Ottawa l’an dernier.

La diffusion en continu, qui transforme l’industrie au Canada, s’accompagne de retombées outre-frontières, signale Pete Mitchell, président et chef de l’exploitation de Vancouver Film Studios. « Le divertissement devient un pilier de l’économie mondiale par l’accès aux marchés internationaux qu’ouvre la vidéo en continu. D’ailleurs, on manque de locaux, d’équipement et de personnel, à Vancouver et dans d’autres centres de production. »

Propulsés par une demande exponentielle, les studios recrutent à tour de bras, parfois dans des milieux inattendus. À Vancouver, le syndicat qui représente les travailleurs du cinéma et de la télévision a observé un afflux de recrues du secteur pétrolier albertain, qui bat de l’aile. Aux acteurs, réalisateurs et caméramans s’ajoutent les plombiers, électriciens, menuisiers, peintres… sans oublier les comptables. « L’industrie a grand besoin de comptables de production, explique Mme Pigott. Les crédits d’impôt influent sur les choix des producteurs et des studios; un professionnel au fait des crédits d’impôt représente un atout. »

L’essor des productions au Canada découle surtout d’investissements étrangers – un record de 5,6 G$ l’an dernier (18,7 % de plus que l’année précédente). Vu l’intérêt marqué pour les nouveautés, Atomic Cartoons a pu proposer ses propres créations (dont elle détient les droits), au-delà des services de production offerts aux clients américains. Nombre de producteurs canadiens s’associent à des homologues américains afin d’offrir des récits canadiens à un auditoire mondial, comme les coproductions Netflix-CBC Anne with an E (Anne en français) et Alias Grace (Captive en français).

L’avenir prometteur du divertissement en continu sera gage de progression pour l’industrie au Canada. Si Netflix domine toujours, de nouveaux acteurs entrent en scène. L’hégémonie de Netflix explique la fusion d’AT&T et de Time Warner, ainsi que les tentatives d’acquisition de 21st Century Fox lancées par Disney et Comcast. Évidemment, Disney l’a emporté, et ce géant lancera sa plateforme de diffusion en continu Disney+ aux États-Unis en novembre. WarnerMedia aurait l’intention d’emboîter le pas. Au Canada, la progression du service Crave de Bell (2,3 millions d’abonnés au début de 2019) impressionne.

« Les contenus télévisuels se diversifient, les budgets montent, et de nombreux studios, prêts à dépenser sans compter, font irruption sur le marché; notre industrie a tous les atouts dans son jeu », conclut M. Mitchell.

Moteur et... action!

Tournages au Canada cet automne

VANCOUVER
Les aventures effrayantes de Sabrina, saison 2
Netflix

Le bon docteur, saison 3
CW

Riverdale, saison 4
ABC

Supergirl, saison 5
CW

MONTRÉAL
The Bold Type : De celles qui osent, saison 4
Freeform

TORONTO
Star Trek: Discovery, saison 3
CBS All Access

Dieux américains, saison 3
Starz