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Collage de personnes occupées au travail
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Magazine Pivot

La solution à la baisse de la productivité au Canada

Ce n’est pas forcément celle à laquelle vous pensez, nous dit Francis Fong, économiste en chef à CPA Canada.

Collage de personnes occupées au travailD’ici 15 ans, tous les baby-boomers encore actifs seront à la retraite. Qui va les remplacer? (Getty)

La croissance de la productivité, vous connaissez? Les économistes, eux, s’en inquiètent depuis des décennies. Rappelons que si, pour le même temps de travail, un ouvrier produit davantage (en une heure, il aura produit 11 articles et non pas 10), sa productivité aura augmenté. Appliquez ce principe à l’ensemble des travailleurs et à leur production, année après année, et vous obtenez la progression de la productivité nationale. Les économistes s’y reportent pour évaluer le niveau de vie général. Si la croissance de la productivité est faible, on peut voir une stagnation des salaires après inflation et certaines tranches de la population en pâtir. 

Dans les années 1960 et 1970, la modernisation des équipements a valu aux entreprises d’ici de produire plus avec moins; et l’intensification du commerce international leur a ouvert les portes de vastes marchés. La productivité a alors grimpé de 2 % à 3 % par année, d’où une expansion économique moyenne de 4 % à 6 %. Mais ces 20 dernières années, la cadence a ralenti : la hausse de la productivité moyenne tourne autour de 0,8 % par année, sans plus, et la croissance économique avoisine 2,2 %. 

Cet effritement structurel semble inéluctable. Les baby-boomers, soit le quart de la main-d’œuvre, partiront tous à la retraite au cours des 15 prochaines années, et la relève ne suffira pas pour les remplacer. Dans une chronique précédente, j’évoquais le ratio de dépendance des personnes âgées, soit le rapport entre la tranche des 15-64 ans et leurs aînés, qui devrait passer de 4 pour 1 aujourd’hui à 2 pour 1 en 2060. On connaît les limites des systèmes publics (santé, éducation, transport en commun). Imaginez ce qu’elles seraient si pour deux salariés, on comptait un retraité. Les structures d’hier n’ont pas été conçues pour la réalité démographique de demain.   

Depuis 2000, la hausse de la productivité canadienne tourne autour de 0,8 %, soit de deux à trois fois moins que dans les années 1960 et 1970.

La situation ne vous inquiète pas encore? Cela ne saurait tarder. Pour schématiser, disons que la croissance économique dépend du nombre de travailleurs et de leur niveau de production. Comme le premier chiffre n’augmente pas, l’expansion de l’économie canadienne se fait en proportion du relèvement de la productivité. Or, le bilan récent, piteux, a de quoi nous alarmer. Que faire? La technologie et l’innovation pourraient imprimer un nouvel élan à la productivité. Après tout, on consacre des efforts considérables à la création de l’appareil inédit ou de l’application miracle qu’on s’arrachera demain – et pour cause : un développeur peut engranger des centaines de millions avec un seul gadget, les jeunes pousses trônent sur des montagnes d’argent, et les milliardaires se multiplient. En outre, grâce à la marche du progrès et à l’élargissement du commerce international, des centaines de millions de personnes, partout dans le monde, s’extirpent de la pauvreté, et des économies développées, comme le Canada, accroissent leur richesse collective.

Hélas, malgré toutes ces avancées, la croissance de la productivité n’a pas dépassé 1 % depuis 2000. Et si ce taux venait à augmenter grâce aux nouveautés à l’horizon (voitures autonomes, IA, agriculture intelligente), les tendances des 30 dernières années indiquent qu’il faudrait payer la note.

La rançon du progrès, c’est que nombre de citoyens ont été laissés pour compte au nom de la productivité. Oui, l’innovation crée des emplois et de la richesse, mais non sans bouleverser des domaines entiers. Dans les secteurs traditionnels, comme la fabrication et la foresterie, on mène la guerre contre l’obsolescence. Résultat : les congédiements, la stagnation des salaires et la hausse des inégalités sont monnaie courante. Deux pas en avant, un pas en arrière.

Ce recul a des conséquences réelles qui débordent le cadre de l’économie. La marginalisation de certains, et la grogne qui l’accompagne, contribuent à la montée du populisme et au triomphe des meneurs qui attisent les rancœurs sur la scène mondiale. Un mouvement qui, comme la croissance anémique de la productivité, menace notre niveau de vie.

Faire croître la productivité doit être l’objectif commun, à titre d’assise de notre bien-être. Mais attention : chercher la productivité à tout prix, sans considérer ses effets pervers, ne fera que saper les systèmes et institutions à la base de notre prospérité actuelle. Alors, ripostons, et tournons-nous vers des programmes harmonisés qui faciliteront la transition vers la nouvelle économie et l’adaptation à un marché du travail en évolution. Formation de reconversion, prestations de soutien, garderies subventionnées, éducation postsecondaire à la carte seront nos atouts. Fini le statu quo : repensons les façons de faire afin de demeurer productifs.