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Femme d'affaires tenant la tablette face à l'homme d'affaires avec des images superposées des affaires et de la technologie.
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À quoi ressemblera la profession comptable en 2030?

Des « futurologues » se penchent sur les quatre scénarios possibles ressortis de la réflexion Voir demain : Réimaginer la profession

Femme d'affaires tenant la tablette face à l'homme d'affaires avec des images superposées des affaires et de la technologie.Dans l’exercice de réflexion Voir demain, plus de 1 000 intervenants, CPA ou non, ont imaginé ce que l’avenir leur réservait, ce qui a mené à l’élaboration de quatre scénarios.

L’an dernier, pour Voir demain, un forum sur l’avenir de la profession comptable, CPA Canada a réuni des penseurs et des chefs d’entreprise. Dans une série de tables rondes en personne, une quarantaine de CPA et d’autres intéressés (des secteurs de la finance, de la technologie, de l’administration publique et du milieu universitaire) ont réfléchi à ce que sera la profession en 2030 et au-delà.

Ce faisant, ils ont dû répondre à une question plus large : à quoi ressemblera le monde, dans 10, 20 ans? Fruit de la réflexion collective : un ensemble de scénarios – visions disparates, mais toutes plausibles, de l’avenir. Soit la communauté mondiale se serrera les coudes; soit elle se fragmentera. Certains scénarios montrent les changements technologiques comme une force positive; d’autres, comme une menace. « Bien entendu, nul ne peut prédire l’avenir », nuance Tashia Batstone, vice-présidente principale, Relations externes et expansion des activités, à CPA Canada. Il est bien probable qu’on verra émerger des éléments de tous les scénarios, pense Mme Batstone, plutôt que d’un seul. « Ce n’est pas ce que nous pensons, ou espérons, que l’avenir sera; ce sont simplement des cas de figure possibles. La valeur réelle de ces scénarios réside dans le fait qu’ils encouragent les CPA à penser autrement, à réfléchir aux défis et aux occasions éventuels. »

Dans l’exercice de réflexion Voir demain, plus de 1 000 intervenants, CPA ou non, ont imaginé ce que l’avenir leur réservait, ce qui a mené à l’élaboration de quatre scénarios. Si les gouvernements adoptent une réglementation environnementale stricte, comment les CPA aideront-ils les entreprises à s’y conformer? 

Si les géants de la techno mènent le jeu, les CPA devraient-ils se faire « gardiens des mégadonnées »? L’objectif? Que la profession demeure pertinente, quel que soit l’avenir. « Je suis impressionné par la façon réfléchie avec laquelle cette profession se penche sur son avenir en prévision des perturbations technologiques qui la toucheront », a déclaré Rohinton Medhora, président du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, un laboratoire d’idées de Waterloo (Ontario). « Un exemple à suivre pour les autres ordres professionnels. »

Ci-après, nous portons un nouveau regard sur les quatre scénarios, en compagnie de « futurologues », en ayant à l’esprit les vicissitudes des derniers mois (feuilletons politiques, guerres commerciales, atteintes à la sécurité des données et craintes de récession). Quel que soit le scénario qui nous attend, les CPA façonneront leur avenir au mieux, croit John Helliwell, économiste et professeur émérite à l’Université de la Colombie-Britannique. « Bien sûr, il faudra de la résilience, de la souplesse, et aussi faire en sorte que les normes comptables et un comportement irréprochable concourent à rehausser la confiance et la collaboration », précise-t-il. Selon lui, les CPA devront être des conseillers à la fois vifs et sympathiques, qui inspirent et instaurent la confiance.

LES FUTUROLOGUES

Jon Lukomnik, associé directeur, Sinclair Capital

Rohinton Medhora, président, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale 

Philip Hunter, conseiller principal, Leadership et gestion des talents, Verity International

LES SCÉNARIOS

Image de la Chambre du Parlement, Ottawa, avec titres de nouvelles superposésDans ce scénario, les choses évoluent Lentement mais sûrement. Les actions sont prudentes face à un avenir plein d’incertitudes. (Getty)

1) LENTEMENT MAIS SÛREMENT

Le scénario
L’avenir à court et à moyen terme sera caractérisé par une stabilité relative, un consensus social et la confiance envers une diversité d’institutions (des organismes locaux jusqu’aux organisations mondiales). Tant les leaders que les citoyens devront s’entendre sur des solutions globales pour relever des défis comme le dérèglement climatique, la sécurité des données et l’incidence imprévue des technologies émergentes. Cet avenir sera marqué par une croissance lente, une innovation timide et un sentiment de frustration chez les entrepreneurs, ce qui pourrait favoriser l’économie clandestine. Les institutions mondiales tenteront d’imposer des solutions d’atténuation des effets des changements climatiques, mais les progrès seront lents, car les pays n’atteindront pas leurs cibles de réduction.

Le verdict
Ce scénario porte bien son nom : les choses évoluent lentement mais sûrement. Les actions sont prudentes face à un avenir plein d’incertitudes. Dans la dernière année, bon nombre de pays ont adopté une telle approche, n’hésitant pas à réglementer l’univers des cryptomonnaies ni à mettre à l’amende des géants de la techno. « C’est ce que le Canada va continuer d’essayer de faire, soutient M. Hunter. Mais j’ignore si le reste du monde suivra. Nous ne sommes qu’au début de cette virée en montagnes russes vers un monde tout à fait différent. » M. Lukomnik avertit : « Même si le Canada espère ce scénario, il serait sage de se préparer à un avenir où les choses évolueront plus vite et de façon plus marquée. Lentement mais sûrement, c’est probablement ce que souhaite la majorité, mais la réalité peut être tout autre. Ironiquement, c’est l’avenir sur lequel la plupart se fondent pour faire des plans. »

Des panneaux solaires au coucher du soleil avec des titres de nouvelles superposésLes catastrophes qui agissent comme éléments catalyseurs, dans le scénario Le phénix renaît de ses cendres, ne sont pas bienvenues. (iStock)

2) LE PHÉNIX RENAÎT DE SES CENDRES

Le scénario
Une série de catastrophes mondiales – phénomènes météo extrêmes, pandémies meurtrières, débâcle financière – oblige les États à collaborer en vue d’assurer leur avenir. Conscients que personne n’est épargné, les gens d’affaires, dirigeants politiques et leaders de mouvements sociaux font la promotion d’un vaste programme d’action qui va au-delà de la croissance économique, en visant plutôt le renforcement de la société civile. Les grands buts (objectifs de développement durable des Nations Unies, revenu de base, atténuation des effets des changements climatiques et accessibilité à l’éducation) sous-tendent la prise de décisions, et les leaders exploitent la technologie à ces fins. Même si la plupart des gens se rallient à ces idées communes, certains déplorent que le marché libre et les libertés individuelles soient mis à mal.

Le verdict
Les catastrophes qui agissent comme éléments catalyseurs, dans le scénario Le phénix renaît de ses cendres, ne sont pas bienvenues. Cela dit, la plupart des futurologues pensent qu’au vu des tendances économiques et de l’accélération des changements climatiques, ces catastrophes sont peut-être inévitables. « Il est fort probable que des situations critiques auront pour effet de refaçonner la planète, dans les cinq à sept prochaines années », affirme M. Hunter. « Et on est souvent obligés d’opérer des changements par suite d’une crise », ajoute M. Medhora. Là où les experts divergent, c’est sur la façon dont le monde pourrait réagir à ces désastres. M. Hunter : « Je ne pense pas que la réaction à court ou à moyen terme sera “Il nous faut travailler tous main dans la main”. » M. Lukomnik est plus optimiste : il voit dans ce scénario le prolongement de nouvelles réalités comme le Règlement général sur la protection des données, en Europe. « Les gens accueillent bien les nouveaux comportements, mais nourrissent des inquiétudes sur la confidentialité, tout en souhaitant disposer de fonctions multiples dans le creux de leurs mains. »

Collage de Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et Tim CookRohinton Medhora croit qu’il est contre-productif d'établir un rapport antagonique entre les États et les géants de la techno. Les deux ont un rôle à jouer, d’après lui. (Getty)

3) GÉANTS DE LA TECHNO

Le scénario
Face à une conjoncture économique instable, à des guerres commerciales et à un sentiment anti-immigration, les grandes puissances politiques poursuivent des orientations très différentes, et marquent ainsi la fin de l’internationalisme. Dans ce contexte, l’hégémonie des géants de la techno comme Apple, Google et Facebook s’accentue; ceux-ci bafouent une réglementation frileuse et instaurent des technologies radicalement transformatives, à portée croissante. Ces entreprises renforcent leur influence dans des domaines tels que la santé, le transport et les médias, par la maîtrise des données et le déploiement rapide de l’intelligence artificielle. Une réglementation laxiste fait en sorte que des emplois vulnérables sont détrônés par l’IA; le marché du travail est caractérisé par la précarité et les contrats à court terme. Les progrès technologiques s’accompagnent de percées améliorant la qualité de vie, mais donnent lieu à de grandes inégalités et à une forte instabilité.

Le verdict
Le scénario Géants de la techno va de pair avec le précédent (Le phénix renaît de ses cendres), dont il est l’opposé. Et les futurologues avancent que des éléments de chacun vont s’avérer. « On aurait tort de croire que l’un des deux sera dominant, soutient M. Lukomnik. Il y aura des forces conflictuelles entre ces deux grandes tendances. » L’escalade des tensions est perceptible dans les appels à morceler les grands de la techno, comme ceux lancés par Elizabeth Warren, la candidate démocrate. M. Medhora croit qu’il est contre-productif d'établir un rapport antagonique entre les États et les géants de la techno. Les deux ont un rôle à jouer, d’après lui. « Quel que soit le scénario privilégié, ce qui compte, ce sont les interactions entre technologie et société. »

Image d'une manifestation du Brexit avec les titres des nouvelles superposésPhilip Hunter est d’avis que le scénario À ma manière est celui auquel on assiste actuellement – de façon évidente si l’on pense au Brexit, au renforcement des restrictions à l’immigration et aux administrations isolationnistes, mais aussi à l’instigation de « gens ordinaires ». (Getty)

4) À MA MANIÈRE

Le scénario
À court terme, le monde se fragmente et se replie sur lui-même, résultat de la montée du populisme et de l’effondrement des accords commerciaux, des systèmes réglementaires et des institutions financières à l’échelle mondiale. La méfiance envahit la sphère politique et les relations internationales; les citoyens se cantonnent dans leur communauté par prudence. Même si le dérèglement climatique ne fait plus de doute, l’ambiance n’est pas à la coopération, pourtant souhaitable pour atténuer la crise. Au vu d’une économie atone, les Canadiens repoussent leur départ à la retraite, ce qui provoque un taux de chômage record chez les jeunes, qui se sentent écartés du marché de l’emploi et peu enclins à poursuivre des études postsecondaires. Universités et collèges réagissent en proposant des stages et des cours pratiques qui font l’affaire des industries artisanales, en expansion. Dans un contexte de croissance anémique, les pays en développement passent sans transition à des solutions novatrices pour remplacer leurs méthodes ou leurs infrastructures, notamment en santé et en éducation.

Le verdict
M. Hunter est d’avis que le scénario À ma manière est celui auquel on assiste actuellement – de façon évidente si l’on pense au Brexit, au renforcement des restrictions à l’immigration et aux administrations isolationnistes, mais aussi à l’instigation de « gens ordinaires ». « Au Canada et aux États-Unis, les gens déménagent moins souvent. Même l’évolution du marché du travail n’a pas entraîné de déplacements majeurs. Cela dénote, à mon sens, un moins grand désir de se déraciner ou de faire preuve d’audace. C’est là un signe possible d’une société repliée sur elle-même. » Selon les futurologues, une vision du monde étroite fait en sorte que les problèmes qui exigent une collaboration mondiale (changements climatiques et tensions géopolitiques) perdurent ou s’aggravent, entraînant ainsi les calamités qui alimentent le scénario no 2. « Certaines sociétés ont beau vouloir faire bande à part, il n’en demeure pas moins que les pays ont besoin les uns des autres. » 

Pour en savoir plus sur le projet Voir demain, allez à www.cpacanada.ca/fr/voir-demain-initiative.