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Assiettes et couverts en son de blé comestible de Biotrem "
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Magazine Pivot

Place aux couverts biodégradables

Les amateurs de restauration rapide et de plats à emporter réclament des couverts compostables : les plastiques n’ont plus la cote.

Assiettes et couverts en son de blé comestible de BiotremLes assiettes comestibles de Biotrem (Photo fournie par Biotrem)

Cet été, les pique-niqueurs ne seront pas nécessairement munis d’ustensiles en plastique. L’opposition au plastique à usage unique, qui met un siècle à se décomposer en site d’enfouissement, s’inscrit dans le virage écologique qui secoue le marché : les consommateurs réclament à cor et à cri des couverts et des pailles biodégradables.

Le mouvement prend de l’ampleur depuis 18 mois, nourri par les images désolantes que relaient sans relâche les médias sociaux : des pingouins arpentent une île jonchée de détritus, des plongeurs nagent dans un marais de débris plastiques près de Bali, on extrait une longue paille en plastique des narines d’une tortue marine, qui saigne. Vue plus de 35 millions de fois depuis 2015, cette dernière vidéo a déclenché la campagne « No Straw » : à 500 millions de pailles en plastique par jour, il y a urgence. Le Canada a d’ailleurs annoncé vouloir interdire les plastiques à usage unique d’ici 2021.

Les dirigeants d’entreprise avant-gardistes y voient « l’occasion de prendre leurs responsabilités et de gagner de vitesse les concurrents », explique Pamela Steer, chef des finances de Paiements Canada, spécialiste en durabilité et membre de la section canadienne du Réseau de leadership des chefs des finances de l’Association pour la comptabilité durable (ACD). On entend intégrer les enjeux environnementaux et sociaux à la stratégie organisationnelle et opérationnelle. Selon Mme Steer (qui a été désignée, en avril, chef des finances de l’année au Canada), les produits dégradables obtenus par des méthodes durables seront moins chers, grâce aux économies d’échelle, que ceux qui s’empilent dans les sites d’enfouissement : « Adoptons une vue d’ensemble, à long terme. »

Biotrem a tenté l’aventure. Jerzy Wysocki, chef de la direction, est issu d’une famille qui cultive et moud le blé en Pologne depuis un siècle, mais la concurrence de puissants meuniers menaçait d’étouffer l’entreprise. Innovante, Biotrem se tourne aujourd’hui vers le son de blé, un sous-produit de la mouture, pour fabriquer des assiettes et des ustensiles qui se décomposent en 30 jours, contre 6 mois pour le carton et 100 ans pour le plastique. À environ 30 $ pour 100 assiettes, ces versions comestibles coûtent plus cher que le plastique à usage unique (125 assiettes en styromousse se vendent 6 $ chez Walmart), mais les prix devraient baisser. Biotrem investit fortement dans la R-D en vue d’étendre à l’étranger sa technologie brevetée. L’entreprise produit annuellement 15 millions d’assiettes et de couverts.

En Inde, Bakeys fabrique depuis 2011 des couverts à usage unique à partir de balles de riz et d’extraits de farine et de fécule de pomme de terre. Son fondateur, Narayana Peesapaty, s’est lancé dans les couverts biodégradables en réaction à la prolifération des détritus en Inde, où 120 milliards d’ustensiles en plastique seraient jetés chaque année. En 2016, une vidéo des produits de Bakeys a connu un succès foudroyant sur Facebook. L’année suivante, rien qu’en Inde, l’entreprise a vendu 2,5 millions de fourchettes comestibles, déclinées en trois saveurs : standard, sucrée et salée. En accélérant la production, l’innovatrice espère accroître ses ventes à l’étranger. Toutefois, l’expédition de couverts comestibles comporte un inconvénient : coûteuse, elle risque de miner l’aspect « vert » du produit (Bakeys emballe ses fourchettes dans du polystyrène pour prévenir la casse).

La new-yorkaise VerTerra Dinnerware, elle, fabrique depuis 2006 ustensiles, assiettes, planches à découper et boîtes à bento en feuilles de palmier séchées. Robuste, la vaisselle peut rester 2 minutes au micro-ondes ou 45 minutes au four à 350 °F sans se désintégrer. Alliée à la prestigieuse fondation culinaire James Beard, du nom du célèbre cuisinier américain, l’entreprise, coqueluche des traiteurs qui organisent des réceptions huppées, remporte depuis 2008 des prix d’excellence et de durabilité. Dans un composteur industriel, ses produits se décomposent en 60 jours.

Soucieuse d’écologie, la génération Y ne peut qu’apprécier les couverts et les pailles de la mexicaine Biofase, composés de noyaux d’avocat recyclés. Vous pensez au dessert? Ceux qui ont la dent sucrée aimeront la cuiller en bonbon de la torontoise Candy Cutlery, fabriquée à partir de sucre de canne.

Aussi insolites soient-ils, les couverts écologiques ne cessent de s’imposer. Selon une analyse du cabinet-conseil britannique IHS Markit, la valeur marchande des plastiques biodégradables avait dépassé 1 G$ en 2018 et pourrait atteindre 1,7 G$ d’ici 2023. Les emballages alimentaires et la vaisselle jetable sont les principaux moteurs de cet essor fulgurant.

D’après Mme Steer, la réglementation amènera un jour les entreprises retardataires à prendre le virage de la durabilité, de gré ou de force, mais elle pourrait s’avérer superflue si les consommateurs exigent d’emblée des pratiques écologiques. La pression du public a poussé McDonald’s, par exemple, à abandonner les contenants alimentaires en styromousse et les gobelets en polystyrène. Les pique-niqueurs, eux aussi, peuvent réclamer des ustensiles qui ne mettront pas des siècles à disparaître. Entre-temps, qui les empêche d’emporter avec eux leurs couverts en inox?


FINIES LES PAILLES

Cette année, l’Union européenne et le Canada ont résolu d’interdire les plastiques à usage unique d’ici 2021. D’autres ont banni les pailles :

« Quand on vous propose une paille en plastique, ne cédez pas à la ruse. »
— Tom Brady, quart-arrière de la NFL, qui a publié l’an dernier une vidéo anti-pailles sur Instagram.

« Ce couvercle fera disparaître des milliards de pailles jetables. »
Andy Corlett, directeur de l’emballage, vante le nouveau couvercle à bec Starbucks.

« On oublie les pailles, une habitude à prendre. »
Samantha Hackett, restauratrice à Tofino (C.-B.). En juin, la ville côtière a proscrit pailles et sacs en plastique.