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Illustration d'une tranche de pizza avec des pièces de monnaie à la place du pepperoni
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Commander une pizza pour pincer des tricheurs

Au Québec, des auditeurs innovent pour déjouer la fraude fiscale en restauration. Et se régalent de pizza, ce qui ne gâte pas la sauce.

Illustration d'une tranche de pizza avec des pièces de monnaie à la place du pepperoniLe Québec applique une nouvelle réglementation plus stricte contre la facturation frauduleuse dans les restaurants (depuis 2011) et dans les bars (depuis 2016). (Illustration de Leeandra Cianci)

Les CPA qui triment fort pendant la période des impôts vous le diront : rien de tel que de commander une pizza pour refaire le plein d’énergie. Or pour certains auditeurs québécois, commander une pizza fait partie de leur travail.

En mai 2017, Katherine Duval-Fillion, inspectrice à Revenu Québec, examine les dossiers de perception de la TVQ par les PME. Et pour vérifier si l’établissement respectait la loi provinciale sur la taxe de vente, elle passe une commande chez Pizza Expresso, à Verdun. À l’arrivée de la pizza, elle cherche en vain la facture. (Le livreur a soutenu ensuite que celle-ci était agrafée à la boîte.) Après enquête, on a constaté un décalage de 20 minutes entre la commande et l’enregistrement d’une vente de 12,99 $ dans la caisse enregistreuse de Pizza Expresso – mais était-ce pour la même commande?

L’absence de facture et le retard d’enregistrement de la transaction constituaient une infraction à la Loi sur la taxe de vente du Québec, qui stipule qu’au moment d’une commande, l’exploitant « doit préparer une facture contenant les renseignements prescrits, la remettre […] à l’acquéreur sans délai après l’avoir préparée et en conserver une copie. » Comme l’établissement n’avait pas enregistré correctement sa commande, Mme Duval-Fillion l’a soupçonné de tenter d’éviter de verser la TVQ. L’infraction a valu à la pizzeria une amende de 2 000 $.

Revenu Québec sait traquer ce type de fraude. En 2011, Giovannina Pizzeria Inc., de Sainte-Marie (Québec), a été auditée après qu’un inspecteur eut obtenu un reçu rédigé à la main au lieu d’un ticket de caisse.

Selon Jacob Nataf, associé montréalais du cabinet MNP et spécialisé en résolution de litiges et de différends fiscaux, de plus en plus de pièges seront tendus pour déjouer les arnaques de ce genre, puisque le Québec applique une nouvelle réglementation plus stricte contre la facturation frauduleuse dans les restaurants (depuis 2011) et dans les bars (depuis 2016).

Alors qu’il fallait autrefois appeler les fournisseurs d’un établissement, on peut désormais recourir à la technologie pour découvrir des activités louches. Les inspecteurs consultent les modules d’enregistrement des ventes (petites « boîtes noires » obligatoires, homologuées par Revenu Québec et reliées aux caisses enregistreuses pour consigner les données des transactions commerciales) afin de déceler des anomalies dans la comptabilité des bars et des restaurants – lieux propices à l’évasion fiscale selon Revenu Québec, vu la fréquence des paiements en espèces. « Ces modules permettent de repérer des ventes non déclarées, ce qui peut entraîner un audit afin d’en déterminer le montant, explique M. Nataf. Par exemple, l’auditeur qui inspecte un restaurant peut comparer le nombre de petits pains commandés à celui des petits pains vendus pendant un repas. »

Mais avant tout, afin d’évaluer l’intégrité des activités de l’établissement, l’auditeur doit mettre la main à la pâte – en commandant une pizza.