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Shaun Majumder fabrique ses tentes cousues à la main sur mesure pour son entreprise 'Ome Sweet' Ome à Terre-Neuve, au Canada
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Magazine Pivot

À la très belle étoile

Luxe, calme et volupté... sous une tente? Les Canadiens découvrent les charmes bourgeois du prêt-à-camper de luxe.

Shaun Majumder fabrique ses tentes cousues à la main sur mesure pour son entreprise 'Ome Sweet' Ome à Terre-Neuve, au CanadaUne très confortable tente de ’Ome Sweet ’Ome (avec l’autorisation de ’Ome Sweet ’Ome)

Construire un éco-hôtel de luxe à Burlington (T.-N.-L.), village de 314 âmes à six heures de St. John’s. Tel était le plan A – par trop ambitieux, comme il a fini par le réaliser – de Shaun Majumder. C’est qu’il était bien motivé à faire connaître son village de pêche natal, notre Shaun. L’acteur-humoriste qui s’est fait un nom à la CBC avait acheté le lopin de terre où se trouvait autrefois son école primaire. Mais après consultation d’architectes et mise à contribution de producteurs télé pour suivre l’aventure (série Majumder Manor), est venue la déception de ne pas recevoir en amont le financement total.

Qu’à cela ne tienne, on bâtira finalement une serre communautaire. L’ouverture de la serre a d’ailleurs servi de point d’orgue à la saison 1 de la série et de prétexte pour organiser une grande fête – « The Gathering », devenue depuis un festival annuel combinant humour, musique et bombance.

Le Terre-Neuvien d’origine explique la présence des tentes de prospecteur blanches sur le site : « Il fallait accueillir des chefs et des musiciens, mais on n’avait nulle part où les loger. D’où l’idée des tentes autour de la propriété. » À l’été 2014, quand lui et Shelby Fenner ont uni leurs destinées, les invités ont séjourné dans ces logements modestes, agrémentés d’une touche rustique chic (belles courtepointes et fauteuils Adirondack). Un ami avance ensuite que les tentes en toile pourraient susciter un engouement et prouver aux investisseurs que l’idée de la station de villégiature est valable. Et en proposant le tout au moyen d’Airbnb, on pouvait éviter beaucoup de paperasserie.

Les premières tentes ont bientôt été remplacées par des versions cousues main à Terre-Neuve, selon le souhait du proprio d’avoir une entreprise durable et responsable. Lancement officiel de ’Ome Sweet ’Ome en 2016 : à 75 $-100 $ la nuitée, les services d’hébergement génèrent un chiffre d’affaires de 28 000 $ la première saison (juin-septembre) – et de 120 000 $ l’an dernier. L’acteur-homme d’affaires s’est rendu compte en cours de route que ces tentes-là n’étaient peut-être pas qu’une solution provisoire.

Le comédien Shaun Majumder et son épouse Shelby Fenner avec leurs chiens près des eaux de Terre-NeuveShaun Majumder et Shelby Fenner (avec l’autorisation de ’Ome Sweet ’Ome)

Car voilà : le prêt-à-camper de luxe, ou « glamping » (mot-valise provenant des mots glamour et camping), a le vent dans les voiles. Il permet, même aux plus endurcis des citadins, de profiter des joies du plein air. Inspirée des tentes pour safari en Afrique, cette mode nous est venue de Californie il y a une dizaine d’années. Le mot « glamping » s’est répandu après la diffusion d’un épisode de The Real Housewives of Orange County mettant en vedette la station balnéaire El Capitan Canyon. Le couple Majumder-Fenner s’y est rendu en 2013 et a constaté que les tentes pour campeurs du dimanche étaient bien plus populaires que les cabines et le bâtiment principal.

« Les gens recherchent cette expérience de plein air, à la belle étoile et sans grand confort, mais ne sont pas chauds à l’idée de monter une tente et de se préoccuper de la sécurité », explique Shaun Majumder. À ’Ome Sweet ’Ome, les tentes ont l’électricité grâce à des panneaux solaires et sont équipées de chaufferettes au propane. Des toilettes à compostage sont à deux minutes de marche, et le Wi-Fi n’est accessible qu’à l’accueil. Ce qui était d’abord une contrainte est devenu un attrait. « L’idée, c’est de rompre avec la routine, lance le propriétaire; lâchez vos iBidules et regardez votre douce moitié dans les yeux! »

Les gens veulent vivre l’expérience du plein air sans renoncer à un certain confort.

Le marché du prêt-à-camper de luxe devrait engendrer des recettes de 1 G$ d’ici 2024, selon Artizon. Ces dernières années, tentes haut-de-gamme, maisons dans les arbres, chalets capsules, yourtes et igloos poussent partout – y compris sur Instagram – comme des champignons. Et nos grands espaces aux mille couleurs font du Canada un lieu de prédilection pour les amateurs de nature sauvage soucieux de confort. Au Blue Bayou Resort de South Harbour (N.-É.), sur la route Cabot, les clients séjournent dans des dômes géodésiques chauffés, avec électricité, eau chaude, toilettes et barbecue au charbon de bois.

À l’autre bout du pays, le Clayoquot Wilderness Resort de Tofino (C.-B.) propose plus chic encore : 25 tentes serties dans une forêt pluviale vierge, accessible seulement en avion, en hélico ou en bateau. À partir de 4 500 $ par personne pour trois nuitées, ce cinq-étoiles comblera d’aise ceux qui aiment les tours en calèche et les menus dégustation axés sur le terroir. Une expérience unique en son genre, dixit Goop.

« Avec le prêt-à-camper, la notion de luxe évolue », affirme la conseillère en voyages Claire Newell. Pour les Y, le luxe passe par l’exceptionnel. Ils veulent quelque chose d’« unique », d’« exclusif », d’« éloigné » – associé à des choix responsables. La durabilité a investi l’industrie hôtelière, constate Bob McMahon, analyste en commerce de détail et grande distribution à BDO Canada. « Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour des expériences qui reflètent leurs valeurs profondes – en l’occurrence l’écologie, chez bien des gens. »

L’éco-hôtel n’est donc plus dans les plans de Shaun Majumder. « Parfois, il faut suivre une idée là où elle vous mène. » Il espère proposer un jour des excursions de pêche ou de cueillette d’aliments offerts par Mère Nature. Réglementation sanitaire oblige, les clients doivent apporter leur nourriture ou se rendre à l’un des deux restaurants du coin. Pour l’instant, l’essentiel est de faire connaître le produit, d’abord dans la province et la côte Est. À son avis, le concept est franchisable, car tout à fait simple : miser sur les points d’intérêt locaux. Dans son coin de pays, on peut admirer la mer et observer les icebergs ou les baleines. « Oui, nos draps sont confortables, mais les tentes sont là avant tout pour vous faire vivre la magie d’un lieu enchanteur! »