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Moulins à vent en Alberta
Articles de fond
Magazine Pivot

L’économie albertaine veut se mettre au vert

La demande en pétrole va continuer de diminuer, mais l’Alberta est loin d’être sans ressource face à ce défi.

Moulins à vent en AlbertaLa capacité éolienne de l’Alberta est la troisième au pays (Getty Images)

La nouvelle a fait grand bruit. En Californie, plus d’un demi-million de véhicules électriques circulent désormais par monts et par vaux, apprenait-on récemment : 177 781 véhicules neufs en 2018, dont 24 686 en décembre. Oui, ils sont minoritaires, mais la tendance – une croissance exponentielle des ventes – ne se dément pas. L’État le plus peuplé des États-Unis trace la voie. Le reste du monde suivra.

Cela dit, le moteur à explosion nous accompagnera probablement pendant une génération encore, mais la demande en hydrocarbures pourrait bientôt plafonner, puis décliner, les technologies de substitution devenant plus courantes, plus abordables aussi.

L’avenir pourrait donc s’avérer prometteur. Ou terrifiant, c’est selon. Ces tendances, si elles se confirment, forceront les producteurs de pétrole comme l’Alberta – déjà éprouvée par l’insuffisance de la capacité pipelinière, qui fait péricliter le prix de l’or noir – à se réinventer. Sans compter que, depuis l’affaissement du cours mondial en 2015, les redevances issues des sables bitumineux reculent. Elles culminaient à 6 G$, mais atteignent à peine 1 G$ aujourd’hui. Dans cette province dont la population est parmi les plus jeunes du pays, le taux de chômage, à 6,3 %, dépasse la moyenne nationale.

Vu l’alourdissement des risques, il en va donc de l’avenir de l’Alberta. La demande faiblissant, que faire pour s’adapter?

Le financement de la recherche-développement apportera des solutions de décarbonisation au secteur pétrogazier, et l’Alberta, qui a notamment investi dans le captage et le stockage du CO2, l’a compris. Il existe déjà des technologies rudimentaires susceptibles d’assurer l’extraction du carbone de l’atmosphère, et, partant, de ralentir la cadence des changements climatiques, voire de renverser la vapeur.

Sarah Keyes, CPA, directrice de projets, Durabilité, à CPA Canada, souligne aussi que les effectifs doivent s’adapter à une économie sobre en carbone; elle cite l’exemple de Iron and Earth, organisme à but non lucratif fondé par des employés du secteur pétrogazier, qui aide la main-d’œuvre à se reconvertir pour travailler dans le domaine des ressources renouvelables.

Les revenus issus des sables bitumineux ont déjà chuté, passant de 6 G$ à 1 G$.

Le saviez-vous? Le sud de l’Alberta connaît de forts vents et de longues périodes d’ensoleillement. L’idéal pour exploiter les énergies éolienne et solaire. En août 2018, sa capacité éolienne s’établissait à 1 483 mégawatts, troisième au pays, après celles de l’Ontario et du Québec. Selon son plan climatique, la province obtiendra un tiers de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2030.

Mais l’énergie renouvelable ne saurait remplacer à elle seule le potentiel économique immense associé au pétrole. Le gouvernement s’empresse donc d’offrir des aides à la diversification. En 2015, la première ministre, Rachel Notley, livrait ce constat : « La croissance semblait aller de soi, mais l’effondrement du brut l’a montré, nos partis-pris nous ont fragilisés. »

Parmi les pistes exploitées, les chercheurs explorent de nouveaux usages du bitume, dont le granulat d’asphalte et même les graphènes, fibres de carbone susceptibles de remplacer l’acier dans des constructions en béton et en bois.

La province mise aussi sur le secteur agricole, déjà robuste. Le PIB réel de l’agroalimentaire brillait en 2015 et en 2016, quand l’économie tournait au ralenti, et n’a fait que monter en 2017, jusqu’à 6,5 G$. L’Alberta n’a pas hésité à courtiser le secteur du cannabis, qui connaît une forte expansion. Plusieurs grands producteurs, dont Aurora Cannabis, s’y sont établis : taux d’imposition avantageux, autorisation de vente au détail par le secteur privé, faible coût de l’énergie, ensoleillement, que demander de plus?

L’essentiel, précise le président et chef de la direction des Chambres de commerce de l’Alberta, Ken Kobly, CPA, est de tenir le cap. « J’ai connu quatre récessions. Immanquablement, le gouvernement, quel qu’il soit, proclame l’urgence de la diversification. Et puis, hop! le pétrole rebondit. L’impératif est vite oublié. »

Grâce à ses fleurons, les universités de Calgary et d’Edmonton, appuyées par de nombreux collèges, la province peut tirer parti d’un capital de recherche tous azimuts, des technologies environnementales à l’agriculture expérimentale. « Les chercheurs développent d’excellents produits et projets, déclare M. Kobly. Aidons-les à commercialiser leurs idées, qui risquent sinon d’être exploitées ailleurs dans le monde. »

Côté incitatifs fiscaux, la province a créé, il y a deux ans, un crédit d’impôt pour inciter les entreprises à investir dans de nouvelles technologies. Les CPA ont mis la main à la pâte pour en assurer la mise en œuvre, explique Jean-Marc Prévost, du ministère du Développement économique et du Commerce : « Ils sont souvent les premiers à trouver le moyen d’attirer les capitaux, surtout quand l’entreprise explore des secteurs novateurs. »

Et en 2017, l’Alberta a fait appel à une spécialiste du capital de risque, qui a su orchestrer une transition d’envergure : la Britannique Laura Kilcrease a aidé Austin, capitale du Texas, à délaisser la pétrochimie et à devenir un des principaux centres technologiques aux États-Unis. Mme Kilcrease dirige Alberta Innovates, moteur d’innovation, et le gouvernement table sur un virage bien mené. Sans toutefois débloquer des crédits.

De fait, depuis la chute catastrophique du brut en 2015, le financement accordé à Alberta Innovates n’a cessé de fondre, d’où la suppression de dizaines d’emplois en 2017. Hélas, à défaut d’investir dans la diversification, on risque de manquer de ressources pour réaliser la transition ciblée à long terme. Tout pari sur l’avenir suppose l’engagement de dépenses.

Prête à prendre des décisions fondées sur des données probantes, forte d’une main-d’œuvre habile, appuyée par des universitaires innovants, « l’Alberta est en position de prendre les devants », conclut Mme Keyes.