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Butler déballage, bain de dessin, servir du thé
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Les majordomes reviennent en force

Les majordomes sont de plus en plus présents dans les hôtels chics – et peuvent s’occuper de bien plus que votre lessive.

Butler déballage, bain de dessin, servir du théÀ l’hôtel St. Regis de Toronto, cinq majordomes s’affairent à défaire vos valises, vous faire couler un bain ou vous servir le thé. (Photos de Kayla Rocca)

Luxe ostentatoire oblige, quand l’aimable majordome s’est présenté, un intrépide jeune homme dénommé « Oat », j’avoue humblement que j’étais sans voix. La scène se déroulait dans l’un des hôtels les plus luxueux de Bangkok, l’hôtel Siam, où l’on proclame sans ambages que « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans majordome ».

Après quelques réticences et tergiversations, j’ai fini par accepter que mon aide de camp défasse mes bagages, donne mes vêtements à passer au fer et, comble du luxe, me fasse couler un bain. Plus tard, il m’a guidé dans les dédales de Bangkok pour y déguster sa célèbre cuisine de rue. Mais avec quel style! Un jour, après avoir court-circuité les longues files, il m’a trouvé une table le long du trottoir sur laquelle m’attendait un Chablis bien frappé dans un joli seau en argent. Extraordinaire privilège dans ces quartiers grouillants de monde.

À mon retour, j’ai mis deux semaines à défaire moi-même mes valises. Quant à mes vêtements, ils n’ont jamais été aussi impeccables que durant ce périple thaïlandais.

Cet épisode remonte à 2013, époque où un tel service était considéré comme novateur. Pourtant, trois années plus tôt, la firme d’analyse de tendances trendwatching.com avait lancé l’expression « brand butler ». Elle recommandait aux marques de luxe de guider le client vers « l’épanouissement au quotidien », plutôt que d’essayer de lui vendre un mode de vie, voire une identité.

Les majordomes sont en passe de devenir un atout incontournable dont se parent les hôtels, les croisiéristes, et même certaines compagnies aériennes haut de gamme. Selon la International Guild of Professional Butlers, quelques millions de ces spécialistes officient dans le monde. Si leur nombre a constamment augmenté depuis 30 ans, il a littéralement explosé en 10 ans. Le chic St. Regis, à New York, offre les services de majordomes depuis plus d’un siècle. Quand la prestigieuse chaîne a ouvert celui de Toronto en novembre 2018, elle n’a pas hésité à les proposer aussi aux clients qui séjournent dans ses 258 suites.

Le « majordome instagram » vous indiquera les endroits propices aux selfies. Le « majordome skyloft » jouera les DJ rien que pour vous.

« Il faut voir les majordomes comme des adjoints attentifs », explique la chef majordome du nouveau palace torontois, Heather Wadel. « Ici, nous sommes cinq. Demandez-nous n’importe quoi : vous apporter le café à la chambre, défaire vos bagages, repasser un chemisier. Nous répondons à vos questions en ligne 24 heures sur 24. » Le but est d’offrir le nec plus ultra et du sur mesure. « Nous prenons soin de connaître la raison de la visite du client, l’heure de son arrivée, ses besoins particuliers – préférences alimentaires, difficulté à se déplacer – pour un séjour sans anicroche. »

Les croisiéristes ne sont pas en reste. Ainsi, les compagnies Silver Sea et Crystal Cruises – sur son yacht d’exception, le Crystal Esprit, essentiellement constitué de luxueuses suites – assignent un majordome à chacun des passagers. Côté aviation, Etihad Airways recrute des domestiques formés à l’hôtel Savoy à l’intention de sa richissime clientèle qui, en classe dite « The Residence », évolue dans une suite trois pièces d’une opulence inouïe.

« La concurrence est âpre dans le marché du luxe, et les palaces cherchent à se distinguer en bonifiant leur offre », selon Melanie Brandman, fondatrice et chef de la direction de la Brandman Agency, spécialisée en voyages haut de gamme. « Dans un appartement Airbnb, même le plus beau du quartier, qui sera aux petits soins, qui s’empressera de vous apporter un cachet d’aspirine en pleine nuit? »

Steven Ferry, président de l’International Institute of Modern Butlers, de Clearwater, en Floride, estime que les nouveaux rôles dévolus aux majordomes sont en train de transformer la profession. « Le domestique à l’ancienne, guindé et droit comme un “i”, a pratiquement disparu. Les hôteliers constatent que les baby-boomers et leurs aînés, nés avant 1945, ne font plus la loi sur le marché. »

Un exemple d’innovation? Le Conrad Maldives Rangali Island, à la page, soigne ses jeunes clients en leur adjoignant un majordome Instagram. Cet expert en photographie connaît tous les panoramas et peut leur dire quand capter la lumière pour valoriser leur statut d’influenceurs, suivis par des milliers d’adeptes. Sans supplément, bien entendu.

Une petite faim à une heure indue? Envie de danser? À Las Vegas, les habitués des suites Skyloft au MGM Grand Hotel peuvent compter à tout moment sur un majordome attentionné. Il s’assurera que le bar est généreusement garni de leurs boissons favorites et jouera les DJ – on se déhanchera au rythme d’une trame musicale endiablée, préparée selon les desiderata de chacun.

Et que dire de l’Écosse où, à l’hôtel Balmoral, il suffit de sonner le majordome Tartan pour renouer avec un lointain aïeul, aussi imaginaire soit-il. Ce spécialiste en généalogie trouvera à quel clan vous appartenez, le cas échéant, et vous commandera un kilt sur mesure (à vos frais, tout de même). Dans les Pyrénées, skieur exigeant, vous aurez à vos ordres un majordome à l’hôtel et spa La Pleta. Remettez-lui vos bottes de ski à la fin d’une journée harassante sur les pentes; il vous les rendra au petit matin, bien chaudes, séchées, stérilisées et polies

Ce n’est pas tout. Le feutré Dorchester de Londres a engagé un as du numérique pour vous dépanner en cas d’ennui technologique, tandis qu’au Mexique, le Viceroy Riviera Maya vous confiera aux soins d’un expert pour choisir des savonnettes sur mesure. Quant au majordome bronzage du Ritz-Carlton de South Beach, à Miami, il veille à ce qu’aucun des baigneurs de l’hôtel ne s’expose aux rayons sans s’être enduit des crèmes protectrices voulues.

Trop de chichi, d’après vous? Pas si l’on en croit Jessica Cook, spécialiste en marketing des services hôteliers, qui voit dans ces fonctions pointues le reflet de l’évolution globale des voyages de luxe. « On est passé depuis quelques années du désir de paraître à celui de se réaliser. Le majordome ganté de blanc a laissé sa place à l’adjoint. Une sorte de conseiller en mode de vie qui vous décharge de la logistique, et se fait fort de vous concocter des expériences mémorables. » Tout en s’assurant que vous ne perdez pas de temps, ennuyé par des vétilles. Comme défaire vos valises.