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Installation minière Bitfarms
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Magazine Pivot

Bitcoin : Le Québec a bonne mine

Des ressources abondantes et abordables ont attiré les cryptomineurs dans la province. Mais que se passera-t-il quand le filon numérique se tarira?

Saint-Hyacinth, QuébecBitfarms a installé une de ses usines à Saint-Hyacinthe. (Guillaume Simoneau)

Dans les cités industrielles d’antan comme Saint-Hyacinthe, voilà que les usines désaffectées se remettent à vrombir, produisant cette fois-ci une sourde rumeur tout à fait XXIe siècle. C’est le bourdonnement de milliers de ventilateurs s’activant à l’unisson pour éviter la surchauffe, au cœur d’un entrepôt où tourne à plein régime une armada d’ordinateurs. Dans ce décor futuriste planté dans une ville de la troisième couronne de Montréal, on reste pantois, étourdi face à l’enchevêtrement de câbles et au scintillement des témoins lumineux verts. 

Un bruit constant et une chaleur intense se dégagent de quelque 6 500 ordinateurs de la taille d’une miche de pain, chacun occupé à singer son voisin pour résoudre, inlassablement, de complexes énigmes mathématiques. Équation résolue? La bête est récompensée en bitcoins, la cryptomonnaie reine. Pas le temps de se réjouir : vite, un autre problème, et encore un autre.

Une telle ruche cybernétique aura généré en une journée, une moyenne de 3,5 bitcoins, ce qui, dans la course folle aux cryptomonnaies, aurait pu valoir entre 2 200 $ (début 2016) et 88 500 $ (fin 2017). Et en octobre 2018? L’équivalent de 29 300 $. Une chevauchée en montagnes russes. Assurément, on est devant les rouages – au propre comme au figuré – de l’économie numérique, qui mobilise toute la puissance de l’informatique mais aussi des quantités inouïes d’électricité pour frapper une monnaie théorique, qui n’existe que dans un grand livre immatériel.

L’entrepôt maskoutain est l’un des cinq du genre que Bitfarms, figure de proue du domaine au Canada, exploite depuis 2017. L’entreprise de « minage » (terme qui désigne la production de cryptomonnaie) entend d’ailleurs faire du Québec, hydroélectricité oblige, un pôle du bitcoin. Cotée à la bourse de Tel-Aviv, Bitfarms a affiché un chiffre d’affaires de 22 M$ US au premier semestre 2018. Ses dirigeants ambitionnent de créer trois autres installations à court terme, pour une consommation totale de 162,5 mégawatts (MW). De quoi « miner » des centaines de milliers de dollars en bitcoins par jour – ou, vu sous un autre angle, alimenter en courant quelque 120 000 foyers. D’où un bémol. Le minage va bientôt exiger l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de l’Autriche, selon la revue Joule.

L’avenir, c’est la chaîne de blocs, pas les cryptomonnaies, selon Pierre-Luc Quimper.

Bitfarms n’est pas le seul acteur dans ce nouveau Klondike. Depuis plusieurs années, les mineurs du monde entier ont des visées sur le Québec, comme source d’énergie abondante, bon marché et, somme toute, plus verte que les autres. Au départ, la province, satisfaite, entendait écouler ses excédents et tirer profit du phénomène. Mais le vent tourne. 

En mai 2018, devant la ruée des mineurs en puissance, le gouvernement provincial a dû fermer le robinet. Fini, les nouveaux contrats. Entre l’automne 2017 et la date du moratoire, près de 300 cryptomineurs et opérateurs de chaînes de blocs avaient déposé une demande, pour un total de 18 000 MW. En comparaison, l’industrie de l’aluminium, bien établie, achète environ 2 700 MW à Hydro-Québec.

Le souci, évoqué d’ailleurs par l’ancien premier ministre Philippe Couillard et Hydro-Québec, c’est que ces exploitations automatisées ne génèrent guère d’emplois, surchargent le réseau électrique (pourtant robuste) et exposent l’économie aux aléas du cours fluctuant du bitcoin. « Si le marché s’effondrait, la plupart des cryptomineurs ne pourraient plus faire leurs frais. Rentabilité oblige, ils plieraient bagage », pense Jeremy Clark, professeur et expert en cryptomonnaie à l’Université Concordia à Montréal.

Et que dire de l’atmosphère fébrile, qui rappelle la ruée vers l’or? Il faut savoir que le nombre de bitcoins est limité. Les algorithmes pour les miner se complexifient à outrance, à mesure que d’autres ordinateurs entrent dans la danse. Les gouvernements craignent donc que les chercheurs d’or des temps modernes, comme ceux d’hier, désertent les saloons quand les conditions se durciront (exploitation coûteuse, gourmande en énergie). Ou qu’ils disparaissent du jour au lendemain dès que la source sera tarie.

« Nous avons beau avoir des surplus sur les bras, il est tout à fait impossible de brancher au réseau tous les chercheurs de trésor qui frappent à nos portes », explique Jonathan Côté, porte-parole d’Hydro-Québec. « Si nous étions sûrs que la demande se maintiendra 5 ou 10 ans, la Société pourrait rehausser ses capacités. Or, nous n’avons pas cette certitude. »

Bitfarms, elle, affirme ne pas être du genre à déménager à la cloche de bois. Pierre-Luc Quimper, son cofondateur et président, entend aller au-delà de la récolte de bitcoins. Ambitieux, il compte sur la technologie de la chaîne de blocs – le grand livre virtuel qui sous-tend la cryptomonnaie – comme ossature pour l’authentification d’un ordinateur hôte, la gestion des chaînes logistiques et l’exploitation des systèmes de paiement, tant pour les entreprises que pour les particuliers. L’ubiquité et la transparence des chaînes de blocs (au code source ouvert), conjuguées à une sécurité éprouvée, voilà des conditions idéales pour faciliter les opérations financières interentreprises. Autrement dit, le minage des bitcoins n’est qu’un tremplin. L’avenir brillant de Bitfarms, selon M. Quimper, réside dans les possibilités que font miroiter les chaînes de blocs.

Les grandes sociétés y croient dur comme fer elles aussi. Il y a deux ans, Walmart et IBM avaient fait équipe pour monter un projet de chaîne de blocs visant à garantir l’innocuité des produits alimentaires du géant de la vente au détail. Maersk, colosse des transports, a choisi la même technologie afin de garder l’œil sur les livraisons. Et De Beers a emboîté le pas pour assurer le suivi des moindres étapes de vente et d’importation des diamants (et pour établir l’authenticité des pierres).

homme debout devant le grand mur de processeurs informatiquesQuelques-uns des 6 500 ordinateurs de l’installation de Bitfarms à Saint-Hyacinthe. (Guillaume Simoneau)

M. Quimper souhaite mettre à contribution les solides capacités informatiques de son entreprise pour miner les bitcoins, puis utiliser les profits dégagés pour assurer l’expansion de ses installations, ce qui lui vaudra d’exploiter à fond la puissance ainsi créée pour investir le marché de la logistique et des transactions financières – bien plus porteur à long terme, estime-t-il. À cette fin, Bitfarms s’est associée à l’École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal et a lancé un projet de recherche sur les chaînes de blocs, en vue d’en cerner les applications pratiques, au-delà du minage.

« Il y a deux ans, devant l’engouement pour le bitcoin, j’ai réalisé que le potentiel de rentabilité était du côté des infrastructures, explique M. Quimper. Je veux qu’une compagnie comme Air Canada fasse appel à nous. Les billets, la logistique, les algorithmes, l’infrastructure, tout passerait sur les chaînes de blocs. La rentabilité, je la vois dans les virages qui s’annoncent. »

Les origines du bitcoin remontent à 2009. On attribue sa paternité à un groupe ou à un obscur (mythique?) personnage japonais dénommé Satoshi Nakamoto, apparemment ingénieur informaticien, mais dont la véritable identité demeure inconnue. Créateur nébuleux, donc, mais solution bien ficelée pour un problème réel aux yeux des idéologues de l’informatisation : comment réaliser des transactions financières décentralisées, en toute sécurité, sous le couvert de l’anonymat (même relatif) sur Internet?

Plus de 17 millions de bitcoins sont entrés en circulation depuis 2009. Chaque opération qui les met en jeu est irrévocablement consignée dans un gigantesque grand livre virtuel, la fameuse chaîne de blocs. Toutes les 10 minutes environ, le système concocte un nouveau bloc où figure l’intégralité des transactions effectuées depuis la dernière création d’une unité, et ajoute ce maillon à la chaîne. Le minage exige que les ordinateurs s’évertuent à trouver la solution à une équation mathématique complexe, à raison de milliers de milliards de tentatives à la seconde. La machine qui tombe sur la bonne réponse récolte une quantité déterminée de nouveaux bitcoins tout frais (12,5 à l’heure actuelle). Dans ses installations, qui consomment au total 27,5 MW, Bitfarms mine en moyenne neuf bitcoins par jour (9,275, pour être exact).

Le discret Nakamoto aurait plafonné la masse monétaire des bitcoins à 21 millions d’unités. Or, selon les estimations, ils auront tous été extraits d’ici 2140. Plus il y a de systèmes qui s’affairent à décrocher le magot, plus il est ardu d’y arriver, la difficulté du processus étant justement tributaire de la puissance informatique à l’œuvre sur le réseau. Du coup, les mineurs, assoiffés d’énergie, redoublent d’efforts. Conséquence : les chercheurs de bitcoins se sont concentrés en Islande, en Suède et dans certaines régions des États-Unis, où l’électricité est relativement bon marché. En 2017, ils ont commencé à frapper à nos portes.

Le Québec, on le sait, est depuis longtemps un endroit prisé par les secteurs énergivores. En 1901 déjà, l’industrie naissante de l’aluminium s’y était établie, attirée par l’électricité produite par les chutes de Shawinigan. Les alumineries ont pour ainsi dire poussé comme des champignons, au rythme où s’ajoutaient de nouvelles centrales hydroélectriques dans le paysage québécois. Neuf des dix principales alumineries du pays sont dans la Belle Province. Les cimenteries y sont également enracinées, tout comme les centres de données. La culture clandestine du cannabis s’y épanouit aussi. Certes, ces industries desservent des marchés bien différents, mais elles ont un point en commun : leur présence s’explique par l’accès à une source d’énergie abondante, à tarif modique.

Le minage va bientôt exiger l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de l’Autriche.

À l’été 2016, dans l’optique de faire doubler ses revenus en 15 ans, Hydro-Québec courtisait effrontément les centres de données. La grande séduction. Sans surprise, on a déployé un attirail d’arguments : programmes d’aide, 25 millions de pieds carrés de locaux, soutien TI et prix d’ami, à 3,16 ¢ US du kilowatt-heure (kWh). (Le tarif hors pointe le plus bas, en Ontario? 6,5 ¢.) L’offre a attiré des opérateurs de centres de données et des cryptomineurs. La firme chinoise Bitmain, qui fabrique les ordinateurs de cryptominage Antminer, a rencontré la société d’État récemment. David Vincent, directeur du développement à Hydro-Québec, affirme que « trois, quatre » grands acteurs du milieu ont manifesté leur intérêt, alléchés par les avantages mis en avant.

Le minage de bitcoins est énergivore, voire vorace. Pourquoi? Parce que l’essentiel de l’opération se fait à l’aveugle, par tâtonnement. Tout comme pour l’extraction minière, source d’énormes quantités de scories et résidus, produits par l’affinage, le minage exige des milliards de calculs pour dénicher la solution à un problème. À titre d’exemple, un Antminer S9 exécute entre 13 000 et 14 500 milliards de tentatives à la seconde. Plus il y a de machines ainsi mises à contribution, meilleures sont les chances de récolter les convoitées pièces virtuelles.

Environ 300 entreprises de tailles diverses ont présenté leur plan à Hydro-Québec, selon M. Côté, pour une demande théorique totale de 18 000 MW. Hydro-Québec a accepté 20 propositions avant de décréter un moratoire, en juin. Elle a aussi commencé à taper sur les doigts des cryptomineurs qui ont osé le défier (certains ont prétendu exploiter une serre) en leur facturant une pénalité de 15 ¢ le kWh.

« C’était ingérable, explique M. Côté. Même en ne retenant que les candidatures sérieuses, avec des plans dignes de ce nom, il aurait fallu prévoir jusqu’à 6 000 MW. C’est quatre fois la capacité excédentaire disponible pour toutes les industries. Nous ne voulons pas monopoliser une telle puissance pour le cryptominage et les chaînes de blocs. »

L’avantage de Bitfarms? Avoir pris les devants, comme précurseur sur son marché. Sa première installation a été lancée en Estrie en juillet 2017, avant le début de la course aux bitcoins. En avril dernier, l’entreprise a fusionné avec l’israélienne Blockchain Mining. La société avait conclu des contrats d’alimentation en énergie avant le moratoire. Un moratoire bénéfique, selon le chef de la direction de Bitfarms, Wes Fulford, en ce sens qu’il a coupé les ailes à la concurrence.

Disons-le, Bitfarms a pris le départ en trombe. Au gouvernail, Pierre-Luc Quimper, cofondateur et président. Ce hardi Néo-Brunswickois de 35 ans a l’habitude du hors-norme. Tout jeunot, il avait déjà réussi à convaincre ses parents de le laisser quitter les bancs de l’école. En 1999, il lançait une entreprise de serveurs informatiques, GloboTech Communications. Pourquoi s’est-il tourné vers une obscure cryptomonnaie? Pour dégager des liquidités, question de régler ses mensualités hypothécaires.

« Je venais d’acheter une maison et je voulais rentabiliser mon investissement. J’ai installé des serveurs, que j’ai fait rouler à plein régime », raconte l’homme d’affaires, derrière le volant de sa Lamborghini Aventador – une extravagance qu’il a pu se permettre du temps de GloboTech. « Au bout de trois mois, inquiet, j’avais du mal à m’endormir. Il faisait une chaleur étouffante, et je craignais que le panneau électrique finisse par sauter. » 

Lamborghini mise à part, M. Quimper se range dans le clan des millionnaires méconnus. Barbe de trois jours, jeans, lunettes de myope, polo au logo de Bitfarms. Côté relations publiques, vu son franc-parler, doit-on parler d’étincelles ou de court-circuit? Le courant passe mal entre lui et Hydro-Québec, qui refuse tout net de lui réserver un bloc d’énergie supplémentaire. « Hydro-Québec entend hausser ses tarifs spécifiquement pour notre industrie », déplore-t-il en se faufilant dans les embouteillages de la 20, entre Montréal et Saint-Hyacinthe. « Ils font fausse route. Prenez les centres de données : au début, ils n’étaient pas forcément les bienvenus. Aujourd’hui, ils ont droit à des tarifs spéciaux, on déroule le tapis rouge, si bien que la province en regorge. Amazon envisage de venir ici. Nous, on voit à long terme; on voudrait le même traitement. »

Bitfarms president Pierre-Luc QuimperPierre-Luc Quimper, cofondateur et président de Bitfarms. (Guillaume Simoneau)

Le minage de bitcoins exige aussi de vastes locaux industriels déjà raccordés au réseau électrique. M. Quimper et ses associés ont trouvé leur bonheur à Saint-Hyacinthe, à Cowansville et à Sherbrooke – agglomérations dont l’assise manufacturière a été sapée petit à petit il y a quelques années. L’installation de Saint-Hyacinthe se trouve dans un ancien entrepôt de cacao. À Farnham, quelque 6 700 ordinateurs ronronnent dans une filature d’antan. Thetford Mines et Baie-Comeau, deux villes minières ayant connu de meilleurs jours, ne dédaigneraient pas d’accueillir Bitfarms.

Outre le loyer raisonnable et la proximité de l’infrastructure électrique, ces municipalités jouissent d’une solide alimentation en énergie; la capacité y demeure souvent inutilisée. « En discutant avec les têtes dirigeantes d’Hydro-Québec, nous avons repéré les endroits où il y avait des surplus », raconte M. Quimper. Bonne façon d’optimiser les coûts. De plus, conséquence fortuite ou effet voulu, la stratégie atténue les critiques éventuelles (qui ne sont pas infondées quand on y pense) des écologistes susceptibles de décrier le fardeau de ces opérations sur la planète.

Par conséquent, Bitfarms s’est fait des alliés. En mai dernier, la directrice générale de Sherbrooke Innopole, Josée Fortin, a écrit à M. Quimper pour l’informer qu’elle apportait son soutien entier au projet Bitfarms, qui répond à divers besoins de l’économie changeante de la municipalité. Pour les centres comme Sherbrooke, qui possèdent leur propre réseau de distribution d’électricité, Bitfarms présente bien des atouts : l’entreprise ne demande pas de congé d’impôts fonciers; disposée à payer ses infrastructures, elle achète de l’énergie qui se perdrait sinon.

D’autres envisagent la proposition de Bitfarms avec davantage de circonspection. Tant Bitfarms que son concurrent BitLinksys ont conclu un contrat avec Magog. BitLinksys a annoncé un lancement en juin, mais, début novembre, pas le moindre bitcoin n’avait été miné. Bitfarms, elle aussi, se tient coite. Rien ne bouge.

« C’est étonnant, voire frustrant », avance la mairesse de Magog, Vicki-May Hamm, qui s’interroge sur ces retards. « Les deux semblaient bien pressées de signer et de réserver des blocs d’énergie. Hélas, ni l’une ni l’autre n’a commencé le minage, alors HydroMagog ne leur vend pas une miette d’électricité. Résultat? Zéro profit. Nous misions sur ces contrats pour réinvestir dans nos infrastructures. » Le bec dans l’eau, donc. (Bitfarms rétorque que l’essentiel de ses installations de Magog a été mis en place, mais qu’elle n’a pas encore choisi le matériel de minage qui y sera exploité.)

Autre enjeu : les emplois. Le minage étant une activité largement automatisée, il en génère somme toute bien peu. Selon un rapport de KPMG publié en 2018 pour Hydro-Québec, un établissement de minage qui consomme 20 MW apporte 1,2 emploi par mégawatt. (Bitfarms, par exemple, compte une centaine d’employés.) En comparaison, un centre de traitement de données en crée 5, et une exploitation minière, 27. Les retombées économiques du minage de bitcoins sont bien moindres, par mégawatt de puissance appelée, que celles d’un centre de données au niveau d’appel de puissance comparable, selon KPMG.

Pour Hydro-Québec, hors de question de brancher au réseau tous les chercheurs de trésor qui frappent à sa porte.

Toutefois, les auteurs du rapport envisagent avec optimisme le potentiel économique de la technologie des chaînes de blocs, jugé prometteur. Grâce à ces registres virtuels où sont consignées des transactions, n’importe qui peut exécuter une opération quelconque et l’enregistrer, dans la mesure où il y a consensus des participants. Voilà pourquoi cette technologie peut faire office de tierce partie indépendante assurant l’intégrité d’un mécanisme d’échange.

« Essentiellement, nous nous tournons vers la technologie comme garante de la confiance que réclame toute transaction entre deux parties », résume Kaiwen Zhang, professeur et expert des chaînes de blocs à l’ÉTS de Montréal.

Les implications de l’entrée en service d’applications fondées sur la technologie sont considérables. Ainsi, dans le cadre d’une transaction immobilière, le vendeur et l’acheteur (deux entités qui ne se font pas forcément confiance) pourraient mettre la méthode à contribution pour négocier le prix, fixer les conditions et conclure la vente sans recours à un tiers. En poussant cette logique, les chaînes de blocs pourraient bien, un jour, rendre caduques bon nombre de sociétés de services bancaires et financiers.

« La confiance n’entre plus en ligne de compte », tranche Louis Roy, comptable professionnel agréé et leader à Catallaxy, filiale de Raymond Chabot Grant Thornton qui se spécialise dans les chaînes de blocs. « Il sera possible de traiter avec n’importe qui, sans la méfiance qui entourait autrefois les échanges. »

Une avancée tout à fait adaptée aux besoins des acteurs de la logistique. Maersk, le géant danois du transport, a lancé voilà quelques mois une plateforme d’expédition fondée sur une chaîne de blocs (en collaboration avec IBM). Son personnel peut ainsi suivre plusieurs étapes (départ, dédouanement, connaissement) en temps réel, sans dépendre de systèmes informatiques vieillots ou d’une masse de formalités administratives, omniprésentes dans ce secteur.

Selon un rapport d’International Data Corporation publié en juillet, les investissements mondiaux dans les systèmes à chaînes de blocs vont monter en flèche pour s’établir à 11,7 G$ US en 2022, comparativement à 946 M$ US en 2017.

fils et autre matériel informatiqueLe minage de bitcoins exige de vastes locaux industriels déjà raccordés au réseau électrique. (Guillaume Simoneau)

Les applications en sont à leurs balbutiements, mais « le marché potentiel est énorme, pense M. Roy. Parler de ces registres peut sembler l’affaire de spécialistes, mais le tout a des ramifications au quotidien. Des transactions financières à nos données personnelles, état civil, impôt, et j’en passe, semées ici et là, tout est consigné dans des registres. Or la chaîne de blocs, comme registre décentralisé, met les informations à l’abri ». 

À mesure que le nombre de bitcoins à miner diminuera – et qu’il sera plus laborieux et plus coûteux de les extraire –, les entités cantonnées dans cette branche, qui transmutent comme par magie d’infinis calculs mathématiques en valeur ajoutée, seront-elles vouées à la disparition? Pour Pierre-Luc Quimper, l’avenir réside dans les infrastructures.

L’entrepreneur prépare donc le virage, et voit grand, pour viser autre chose que le minage de cryptomonnaies, entre autres en raison des difficultés et des incertitudes à prévoir. Il misera plutôt sur l’exploitation d’une infrastructure sécuritaire, pistable et censément impiratable. Le pari? Concrétiser des applications à chaînes de blocs utiles en logistique et en gestion des stocks. Selon M. Quimper, Bitfarms pourra à la fois concevoir et héberger ces systèmes, forte de son infrastructure existante. Et cette transition devrait créer des emplois et protéger l’entreprise des spectaculaires fluctuations de cours qui secouent le bitcoin.

« Une lame de fond s’amorce, résume M. Quimper. Idéalement, après intégration verticale, Bitfarms financera ses activités futures par le minage. Veiller au fonctionnement harmonieux des applications à chaînes de blocs sera moins onéreux. Les plateformes seront plus sûres, plus modulables aussi que les systèmes actuels. Au-delà de sa consommation d’électricité, Bitfarms fera partie intégrante des solutions à chaînes de blocs. »