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Canada
Économie

Votre entreprise fait appel à des travailleurs indépendants? Lisez ce qui suit.

Rémunération, retenues à la source, feuillets fiscaux, tenue des dossiers, autant d’enjeux à prendre en considération

Courrier à vélo livrant de la nourriture En villeChauffeurs Uber, livreurs Foodora, hôtes Airbnb ou spécialistes de divers horizons – rédacteurs, développeurs, conseillers en tout genre... Nombreux sont ceux qui optent pour le travail flexible, aux heures qui leur conviennent. (Shutterstock/Daisy Daisy)

Qu’on les appelle pigistes, travailleurs autonomes, contractuels, indépendants, entrepreneurs ou travailleurs d’appoint, leur nombre est en hausse au sein d’une économie de la pige qui transforme les marchés du travail du monde entier.

Ce virage a fait chuter le nombre de travailleurs à temps plein (sur le modèle « neuf à cinq ») sagement assis à un bureau en aire ouverte. Nombreux sont ceux qui optent pour le travail flexible, aux heures qui leur conviennent, que ce soit comme chauffeurs Uber, livreurs Foodora, hôtes Airbnb ou spécialistes de divers horizons – rédacteurs, développeurs, concepteurs, conseillers en tout genre. (Voir Trois conseils pratiques pour ceux qui touchent un revenu d’appoint.)

Les employeurs emboîtent le pas. Selon une étude de Randstad Canada (Workforce 2025: The Future of the World of Work), les travailleurs non traditionnels représentent au moins 30 % de la main-d’œuvre canadienne : un travailleur sur quatre aurait le statut d’autonome. Les entreprises ajoutent qu’environ le quart de leur personnel travaille à distance, révèle l’enquête.

« L’essor de la technologie chamboule les habitudes des organisations », affirme Dominic Lévesque, président du laboratoire d’innovation professionnelle à Randstad Canada. « Les entreprises procèdent par projets; elles se tournent vers une main-d’œuvre temporaire afin de rester concurrentielles. »

Soit. Mais côté planification financière et fiscalité, dans quelle mesure sommes-nous préparés à ces nouvelles modalités de travail? Pour les CPA, conseillers de confiance, c’est l’occasion de faire valoir leurs compétences, d’évaluer les risques, et de veiller à ce que les clients procèdent à un suivi attentif de la rémunération. (Voir Les pièges du travail à la pige.)

« Les CPA sont bien placés pour orienter leurs clients, puisqu’ils traitent à la fois avec des entreprises et des particuliers », explique Linda Nazareth, économiste, futurologue et conférencière, auteure de Work Is Not a Place: Our Lives and Our Organizations in the Post-Jobs Economy. « Les CPA sont au fait de l’évolution de la conjoncture, et de son incidence sur l’activité économique et sur les particularités sectorielles. »

QUI FAIT QUOI, AU JUSTE?

Pour l’entreprise, le recours à une main-d’œuvre temporaire offre plusieurs avantages. Surtout, les coûts fixes et indirects diminuent, par l’élimination du salaire et des avantages sociaux. Un indépendant mobilise aussi moins de ressources internes, et l’entreprise échappe à diverses obligations qu’entraîne l’embauche à temps plein. Se tourner vers les travailleurs autonomes, c’est aussi faire appel aux meilleurs éléments, en fonction des projets et des compétences nécessaires.

Mais ce choix comporte aussi certains risques, prévient Bruce Ball, vice-président, Fiscalité, CPA Canada. L’entreprise doit définir clairement sa relation avec le travailleur : s’agit-il d’un employé à temps partiel ou d’un contractuel indépendant? Par exemple, si le travailleur touche une rémunération sous forme de salaire qui dépasse 500 $, l’entreprise doit émettre un feuillet T4 et procéder aux retenues courantes (RRQ/RPC, assurance-emploi). Elle peut s’exposer à des pénalités si elle traite le travailleur comme un indépendant mais que l’ARC détermine ensuite qu’il avait le statut d’employé, souligne M. Ball.

« On oublie souvent qu’un travailleur sera vite assimilé à un salarié, même pour une affectation brève, précise M. Ball. Si les circonstances indiquent qu’il s’agit d’un emploi, l’indépendant sera probablement considéré comme un salarié par l’ARC, qu’il soit à temps plein un mois ou à temps partiel toute l’année. »

Lorsqu’ils travaillent avec des entreprises qui ont recours à l’externalisation, les CPA doivent en général leur recommander de considérer le travailleur temporaire comme un salarié, sauf s’il est dit clairement que c’est un travailleur indépendant qui intervient comme fournisseur de services, explique M. Ball. Quand un CPA travaille auprès d’un client, il sera à l’affût des éléments inhabituels et posera des questions pertinentes, ajoute-t-il. Par exemple, demandez qu’on vous explique en quoi consistent les services récurrents, pour connaître la nature du travail effectué, savoir qui l’a accompli et à quelles conditions. À souligner, si le fournisseur de services est une société, il faudra aller plus loin pour déterminer s’il s’agit d’un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement ou d’un revenu provenant d’une entreprise de prestation de services personnels.

« S’il semble possible que les personnes qui fournissent les services soient assimilées à des employés, en fonction de la relation, demandez des précisions et avisez le client des risques qui se présentent », conseille M. Ball.

OÙ EN SOMMES-NOUS?

Les opinions varient quant à l’incidence de l’économie de la pige sur les marchés du travail mondiaux. Même les économistes américains Lawrence Katz et feu Alan Kreuger, qui parlaient naguère d’une tendance « en plein essor » (selon leurs premières constatations, 15,8 % de la main-d’œuvre américaine exerçait un travail non conventionnel en 2016, contre 10,8 % en 2005), ont reconnu avoir surestimé l’incidence du travail à la pige sur le monde du travail traditionnel.

« Larry Katz et moi-même avons conclu qu’il y a eu en dix ans une légère hausse de la proportion de la main-d’œuvre affectée à des fonctions non traditionnelles. Elle s’établirait entre 1 % et 2 % au lieu d’environ 5 %, comme nous l’avions d’abord évoqué », a déclaré récemment M. Kreuger au Wall Street Journal.

Pour Mme Nazareth, l’économie de la pige revêt un caractère inévitable qui exige un changement de mentalité. Selon elle, il faut désormais accepter cette nouvelle réalité des travailleurs, trouver de meilleures façons de mesurer son incidence, et remanier les politiques et les systèmes existants, en fonction d’une main-d’œuvre diversifiée.

POUR ALLER PLUS LOIN

Francis Fong, économiste en chef de CPA Canada, s’est penché sur le travail précaire au Canada à l’occasion d’une table ronde organisée par Options politiques, magazine en ligne de l’Institut de recherche en politiques publiques : Un instantané du travail précaire au Canada.