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Canada
Économie

Crise du logement : les aînés donnent de sérieux maux de tête aux jeunes

À leur retraite, les Canadiens ne sont pas toujours décidés à quitter leur (grand) logement pour un plus petit. Les conséquences se font sentir chez les jeunes.

Dennis et Joyce Short ont acheté pour 32 500 $ leur bungalow de trois chambres dans le quartier White Oaks de London, en Ontario, il y a plus de 40 ans. Ayant depuis longtemps remboursé leur emprunt hypothécaire (et investi dans des REER), les deux retraités, âgés respectivement de 67 et 68 ans, n’entendent pas vendre leur maison.

« La plupart de nos voisins sont les propriétaires d’origine, explique Joyce. Tout le monde se connaît. Nous avons une grande cour, nous aimons l’intimité de notre maison. »

« Le quartier est tellement agréable que nous n’avons aucune raison de déménager, ajoute Dennis. Avec l’âge, nous l’apprécions encore plus. »

Nouvelle tendance

Ce couple témoigne d’une tendance croissante chez les Canadiens âgés, qui ne voient pas l’intérêt d’opter pour un logement plus petit. Leur maison est peut-être devenue trop grande (selon un rapport du Canadian Centre for Economic Analysis (CANCEA) publié en 2017, l’Ontario compte à elle seule plus de cinq millions de chambres inutilisées), mais les avantages (rester dans la collectivité qu’ils aiment, près des voisins qu’ils connaissent, avec les commodités auxquelles ils sont habitués) l’emportent sur l’acquisition d’un logement plus petit.

Cette tendance semble aussi se justifier sur le plan financier. Même en tenant compte du profit de la vente (en juin, le coût moyen d’une maison à London était de 370 247 $, selon l’Association canadienne de l’immeuble), les Short devraient sans doute contracter un emprunt hypothécaire, tout en renonçant à leur entourage.

Selon l’endroit où vous déménagez, entre les frais de courtage immobilier et différentes dépenses inattendues, vous ne ferez pas nécessairement une bonne affaire.

« Nous ne pourrions pas louer un appartement d’une chambre pour ce qu’il nous en coûte de gérer notre ménage, estime Dennis. Comme je peux encore faire l’entretien, ce n’est pas un problème. C’est quand ça devient trop lourd qu’il faut déménager. »

Yvonne Ziomecki, vice-présidente directrice du marketing et des ventes à la Banque HomeEquity, qui vient de lancer une campagne de repositionnement de marque (There’s no retirement like home), évoque un autre facteur dissuasif : le coût, souvent passé sous silence, d’opter pour un logement plus petit (frais de courtage immobilier, nouveaux meubles en fonction du nouveau logement et autres frais de déménagement).

« On parle rarement des coûts réels de l’acquisition d’un logement plus petit, souligne Mme Ziomecki. Selon l’endroit où vous déménagez, vous ne ferez pas nécessairement une bonne affaire. Tout coûte cher. Sans parler des facteurs auxquels on ne peut attribuer de valeur pécuniaire. »

Crise du logement

Selon certains, le report du déménagement dans un logement plus petit contribue directement à une crise croissante du logement au pays. Celle-ci se manifeste en Ontario, notamment dans la région du grand Toronto et de Hamilton (RGTH), ainsi qu’à Calgary et à Vancouver.

Un rapport de la Ontario Real Estate Association (OREA) met en relief le problème de l’offre et de la demande. Comme on prévoit qu’environ 700 000 milléniaux (voir Les Y et le marché immobilier canadien : un casse-tête de taille) chercheront un logement en Ontario au cours de la prochaine décennie, le fait que les baby-boomers conservent leur maison au lieu d’opter pour un logement plus petit nuit à l’offre, déjà limitée, de logements. Résultat prévu : accroissement du niveau d’endettement des ménages, éloignement des centres urbains, prolongation du temps de déplacement et augmentation de la circulation.

Le rapport du CANCEA associe la crise au type de logement. Appelé « milieu manquant », le logement milieu de gamme et de densité moyenne (maison jumelée, maison en rangée, immeuble à logements multiples, appartement donnant sur cour) attire les acheteurs qui veulent acquérir plus grand ou plus petit. Or, selon le rapport, à peine 20 % des logements de la RGTH entrent dans cette catégorie, contre 45 % de maisons individuelles et 35 % d’immeubles d’appartements.

Sans solution de rechange pour se loger, les propriétaires âgés ont les mains liées.

« La crise touche les deux côtés du marché du logement : les nouveaux acheteurs qui quittent un immeuble en copropriété pour un logement plus grand dans un immeuble bas, et les ménages âgés qui veulent quitter une maison individuelle traditionnelle pour un logement plus petit, autre qu’un appartement en copropriété ou en location, explique Jason Mercer, analyste de marché à la Chambre immobilière de Toronto. Ce problème a aggravé la baisse de l’offre. »

Selon Richard Lyall, président du Residential Construction Council of Ontario, la crise est due à la rigueur de la politique d’aménagement du territoire et à la complexité du processus d’approbation par les autorités publiques. Sans solution de rechange pour se loger, les propriétaires âgés ont les mains liées, laisse-t-il entendre.

« On construit peut-être des logements milieu de gamme, mais pas à une échelle qui permettrait d’élargir le choix, explique-t-il. Alors, que font les propriétaires âgés? Ils peuvent vendre et déménager, disons, à Cobourg; ils peuvent s’exiler aux États-Unis, habiter au chalet, ou rester dans une maison de quatre ou cinq chambres qui sont vides en attendant la visite des enfants. »

Un problème à l'échelle du pays

Vancouver et Calgary réagissent, elles aussi, au problème du « milieu manquant ». La Vancouver Urbanarium Society a tenu un concours public de design (The Missing Middle) : les participants devaient concevoir un ou deux modèles de maison individuelle en réponse à la crise du logement abordable (Vancouver a été classée 13e sur les 15 villes les moins abordables du monde).

Calgary, classée en 2017 ville canadienne la moins abordable pour les personnes à faible revenu, s’est attaquée au problème dans le cadre des Mayor’s Urban Design Awards, récompenses attribuées à l’architecture et au design qui contribuent à l’habitabilité de la ville et au bien-être de ses habitants. Une nouvelle catégorie d’innovation en matière de logement comprend des modèles d’habitation de petite ou moyenne taille axés sur des quartiers accessibles et abordables, notamment pour la population âgée (voir Âgés, naïfs… et honteux).

Mme Ziomecki est consciente du problème d’abordabilité et de disponibilité des logements, mais ne croit pas qu’on doive pour autant pousser les propriétaires âgés à vendre leur maison. « La décision leur appartient. On ne doit pas mettre de pression sur eux parce que les logements manquent, affirme-t-elle. Ils déménageront lorsqu’ils seront prêts. »

C’est exactement ce qu’on semble observer.

À chacun son choix

Ainsi, Brian et Margot Foster (70 et 69 ans) étaient prêts lorsqu’ils ont quitté leur maison de 185 m2 et trois chambres, qu’ils ont habitée pendant 10 ans, située dans le complexe Garrison Green, à Calgary. Ils ont choisi un appartement en copropriété de 140 m2 et deux chambres dans Lower Mount Royal, un secteur commercial et résidentiel doté de magasins, de restaurants, de parcs et d’un réseau de transport en commun. Contrairement au couple Short, ils ont décidé, au seuil de la retraite, d’habiter au centre-ville pour rester près de leur famille plutôt que de se retirer en banlieue.

« Nous pouvons nous rendre à pied n’importe où en ville, se réjouit le couple Foster. Nous avons fait quelques rénovations avant d’emménager et nous ne regrettons pas du tout notre décision. »

« À court terme, les gens devront s’adapter et être patients. »

Quant aux Short, la vie en copropriété ne leur convient pas en raison des frais mensuels et des contraintes d’espace. « Ce n’est pas le mode de vie que nous souhaitons. Peut-être lorsque nous serons plus âgés, mais pas pour le moment », explique Joyce.

Toronto, Vancouver et Calgary figurent maintenant au palmarès des 10 villes les plus agréables à habiter selon le rapport Global Liveability Index 2018 du groupe Economist Intelligence Unit. La situation est donc peut-être moins grave qu’il n’y paraît, ou peut-être que tout dépend du point de vue. Quoi qu’il en soit, elle évoluera inévitablement d’une façon ou d’une autre.

« À long terme, il faudra actualiser les politiques et repenser l’aménagement urbain, estime Mme Ziomecki. À court terme, les gens devront s’adapter. Les choix actuels ne leur conviendront pas nécessairement : ils devront être patients. »

Pour en savoir plus

Pour mieux connaître l’incidence de la fiscalité sur l’immobilier, lisez le guide de CPA Canada TVH/TPS dans le secteur immobilier : Aidez vos clients à éviter les complications auprès de l’ARC. Pour préparer votre retraite, assistez à l’atelier Gérer ses finances à la retraite et lisez le manuel Retraite en vue : Guide du retardataire – Comment rattraper le temps perdu en 10 ans ou moins.