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Canada
Économie

Les Y et le marché immobilier canadien : un casse-tête de taille

L’introduction en janvier du test de simulation de crise de taux d’intérêt ajoute un obstacle à l’accession des jeunes acheteurs à la propriété.

Charlotte, 31 ans, et son mari, 33 ans, louent un appartement en copropriété au centre-ville de Toronto et attendent leur premier enfant. Ils sont à la recherche d’une maison simple en banlieue ouest. Leur budget : 750 000 $. Faisant preuve de stratégie dans sa planification financière, ce couple de la génération du millénaire (la génération Y) se renseigne sur le marché immobilier et met ses économies en commun, sans aide financière des parents.

« Mes parents m’ont appris très tôt à épargner en vue des mauvais jours », explique Charlotte, courtière dans un cabinet de services financiers, qui, pour des raisons professionnelles, préfère taire son nom de famille. « Comme je travaille dans le secteur financier, je suis au courant des taux d’intérêt. Dès que j’ai senti un vent favorable, nous avons fait le saut. »

Mais tous n’ont pas autant de chance ou de ressources. À une époque où l’on qualiflie la génération Y de génération la plus fauchée, ses chances d’accéder à la propriété peuvent sembler très lointaines.

Miniature vidéo de personnes examinant des articles.

Le Global Wealth Report 2017 de Credit Suisse évoque plusieurs facteurs qui entravent la prospérité de cette génération, dont la crise financière de 2007-2008, le chômage élevé, le resserrement des règles hypothécaires et la hausse du prix du logement. Bien qu’ils soient plus instruits que leurs parents, ces jeunes ont beaucoup plus de mal à accumuler de la richesse.

Les difficultés financières de la génération Y

Au Canada, les Y s’endettent de plus en plus : l’an dernier, leurs emprunts ont augmenté de 12 % selon un rapport de TransUnion Canada publié en mars. Bien que leurs salaires annuels de départ soient respectables, d’après un rapport du Conference Board du Canada paru en 2017 (les titulaires d’un baccalauréat commencent à 54 295 $), la précarité de l’emploi et la hausse du coût de la vie font sentir leurs effets. Cette année seulement, le coût mensuel de la vie à Toronto a grimpé de 400 $ pour atteindre 2 740,48 $. À Vancouver, il est encore plus élevé : 2 795,64 $ par mois, comparativement à 2 003,60 $ à Montréal et à 1 842,69 $ à Calgary.

« C’est [la génération Y] un groupe plutôt hétéroclite, probablement davantage que toute autre tranche démographique, si l’on considère la dette d’études et l’accès limité aux emplois prometteurs », a souligné Doretta Thompson, directrice de la Responsabilité sociétale à CPA Canada, dans une entrevue sur la littératie financière. « Beaucoup de jeunes sautent d’un contrat précaire à l’autre – c’est ce qu’on appelle l’économie de la pige – et, bien entendu, il y a des facteurs sociologiques et technologiques qui stratifient fortement cette population. »

Et leur capacité d’achat d’une propriété? Depuis l’adoption en janvier du test de simulation de crise (qui rend plus difficile l’obtention d’un prêt et qui accroît le montant de la mise de fonds minimale) et la hausse des taux d’intérêt, donc des coûts d’emprunt, les possibilités ont nettement reculé.

Le prix moyen des maisons, en avril 2018, atteignait 866 300 $ à Toronto et 1 129 800 $ à Vancouver.

Depuis janvier 2018, selon Royal LePage, le budget d’achat d’une maison de la « masse critique des milléniaux » (les personnes de 25 ans et plus) a diminué de 16 %, soit d’un peu plus de 40 000 $. Compte tenu d’une mise de fonds de 20 %, les acheteurs qui gagnent un salaire annuel médian de 38 148 $ disposent maintenant d’un budget de logement de 203 246 $. Et si les prix du logement se sont stabilisés sur certains marchés canadiens, le prix moyen des maisons, en avril 2018, atteignait 866 300 $ à Toronto et 1 129 800 $ à Vancouver, comparativement à 500 700 $ à Calgary, 411 400 $ à Montréal et 320 000 $ à Halifax. Dans ces conditions, les jeunes acheteurs regroupent leurs économies pour acheter, comptent sur l’aide financière de leurs parents ou retardent carrément l’achat d’une maison.

Eric Hertel, 31 ans, en sait quelque chose. Coordonnateur de la mise en œuvre de projets à la Banque Royale du Canada, il a scruté le marché torontois du logement pendant six mois avant de renoncer à ses ambitions. La forte demande et le peu d’options à la portée de son budget de 350 000 $ l’ont dissuadé.

« La question n’était pas de trouver un domicile, mais un bon investissement, explique-t-il. Tout compte fait, mon revenu ne me permet pas d’acheter : l’écart est énorme. Je serais confiné chez moi sans pouvoir rien faire d’autre. »

Andrew et Emma Elliott, 36 et 32 ans, ont acquis en octobre dernier une maison simple de quatre chambres au centre-ville d’Ottawa. Ils se sont trouvés en bonne situation financière au bon moment. Tout en scrutant le marché pendant environ deux ans, ces parents d’une petite fille de deux ans ont attendu de trouver la maison idéale en louant pendant un an, en continuant d’épargner et en obtenant l’aide de leur famille.

En outre, ils ont acheté juste avant l’adoption des nouvelles règles hypothécaires et disposaient d’assez d’argent pour verser une mise de fonds de 20 %. Seuls véritables inconvénients : leur non-admissibilité à un taux d’intérêt moins élevé, car Emma travaillait alors comme contractuelle, et tout le processus d’achat d’une maison, qu’Andrew qualifie de « sordide ».

« Je n'aimerais pas à avoir à refaire ça » dit-il.

Acheteur tournant la clé dans la serrure de la porte

Les étapes de l’accès au marché canadien du logement

La diversité des expériences que vivent les Y n’a rien d’étonnant, estime James Robinson, agent aux Centres hypothécaires Dominion à Toronto. Selon lui, cette génération ne diffère pas tellement des précédentes. En réduisant la situation à une question de génération, on omet de nombreuses variables, dont le niveau de scolarité, l’emploi, le revenu et l’aide financière.

« Je ne crois pas qu’une génération soit fondamentalement différente des précédentes, affirme M. Robinson. Chaque génération compte des nantis et des démunis. »

Gustavo Durango, économiste principal à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, partage cet avis. Il ajoute qu’aujourd’hui, les jeunes acheteurs accèdent au marché immobilier comme ils l’ont toujours fait : par étapes, mais avec des options différentes. « En entrant sur le marché, ils n’habitent pas une maison individuelle simple, précise-t-il, mais d’abord un appartement en copropriété, ou condo, puis ils gravissent les échelons. »

« Acquérir une propriété, c’est la meilleure façon d’accumuler de la richesse. »

Grosso modo, explique M. Robinson, ceux qui cherchaient auparavant une maison simple ne peuvent plus se permettre qu’une maison jumelée; ceux qui cherchaient une maison jumelée sont relégués à la copropriété. Et ceux qui cherchent un condo? Comme l’a découvert M. Hertel, ils se retrouvent coincés sur le marché locatif, lui aussi marqué par la concurrence : accroissement de la demande, guerres d’enchères et contrôle des loyers.

« Cette tendance a eu une incidence importante, ajoute M. Robinson. C’est le seul facteur qui a entraîné ce changement d’attitude. Les gens estiment ne plus avoir les moyens d’acheter une maison et se contentent de louer. »

Michael Ferreira, gestionnaire principal au cabinet Urban Analytics, évoque une situation semblable sur les marchés de l’Ouest canadien. « Les prix sont le principal obstacle à l’accession au marché. Comme ils s’accompagnent d’une hausse graduelle du coût d’emprunt et de l’adoption du test de simulation de crise, l’incidence sur les acheteurs se fait sentir non seulement à Vancouver, mais aussi à Calgary et à Edmonton. »

Le ralentissement du marché du logement : avantage ou inconvénient pour les acheteurs de la génération Y?

La conjoncture récente laisse entrevoir un ralentissement du marché de la copropriété qui pourrait avantager les personnes qui misent sur ce type d’investissement. Face au changement d’attitude des acheteurs, les immeubles en copropriété mettent plus de temps à se vendre (l’appartement moyen coûte plus de 560 000 $ à Toronto, et le prix indicatif est de 701 700 $ à Vancouver). Certains promoteurs offrent donc des incitatifs (montant en espèces, stationnement gratuit) pour attirer les acheteurs. S’ils ne vendent pas, ils ne construisent pas, résume M. Robinson; les prix pourraient donc baisser.

« Il y aura lieu de se réjouir si la croissance du prix des condos ralentit pour revenir à la moyenne historique d’environ 5 %. C’est encore le double du taux d’inflation, mais un taux plus réaliste qui réduira le nombre de personnes évincées du marché de la propriété, dit M. Robinson. Des pointes de 20 % et plus sont aussi malsaines que des baisses. »

Bon nombre de jeunes de la génération Y ne renoncent pas. Selon un sondage de la banque RBC publié en février, environ la moitié (48 %) des répondants de 25 à 34 ans considèrent l’acquisition d’une maison comme une priorité financière. M. Robinson leur conseille d’agir sans tarder : « Si votre but est d’accumuler de la richesse, mettez le pied à l’étrier dès que possible, recommande-t-il. Qui ne risque rien n’a rien. »

Andrew Elliott est bien d’accord. Il ajoute qu’Emma et lui ne voulaient pas seulement acheter une maison où élever une famille, mais trouver un bon investissement à « très » long terme.

« Nous avons suivi l’avis de notre courtier, qui nous a conseillé de dépenser selon nos moyens et de ne pas déménager, précise M. Elliott. Acquérir une propriété, c’est la meilleure façon d’accumuler de la richesse. »

Eric Hertel, lui, a d’autres projets, comme rembourser ses dettes et voyager. « Je n’ai pas encore beaucoup d’attaches, explique-t-il. Je n’ai ni conjointe, ni enfant, ni chien. Je suis jeune et j’ai encore l’esprit d’aventure. »

Quant à Charlotte et à son mari, leur but est d’acheter une propriété avant la naissance de leur petite fille en septembre, quitte à rester dans l’appartement en copropriété qu’ils louent pendant quelques mois de plus pour trouver la maison de leurs rêves.

« L’hiver, quand j’étais petite, mes parents aménageaient pour nous une patinoire dans la cour, se rappelle Charlotte. Nous voulons donner à nos enfants le genre d’enfance que nous avons connu. »

CPA CANADA S’EST PENCHÉE SUR LA GÉNÉRATION Y

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