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Canada
Économie

Subventionner les garderies pour augmenter la main-d'œuvre féminine: tout ce qu'on ne vous dit pas.

Instaurer un système pancanadien de garderies subventionnées comme celui du Québec permettrait à 300 000 femmes d'accéder au marché du travail, selon Steven Poloz. Quels autres enjeux se cachent derrière cette idée?

Le modèle de garderies subventionnées qui est en place au Québec depuis 1997 a permis à quelque 70 000 femmes d’accéder au marché de l’emploi. Et lors d’un discours prononcé en mars dernier à l’Université Queen’s, Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, a affirmé que le pays gagnerait à s’inspirer de ce modèle.

« La hausse de la participation des femmes au marché du travail recèle un potentiel de croissance économique encore plus grand [que pour les jeunes] », a-t-il expliqué : leur taux d’emploi au pays est seulement de 83 %, comparativement à 91 % pour les hommes.

Mais il y a, hélas, un obstacle de taille : en 2016, le prix médian mensuel d’une place en garderie était encore en moyenne de 998 $ à Ottawa, de 1 360 $ à Vancouver et de 1 758 $ à Toronto. Un tarif qui oblige de nombreuses mères à renoncer à travailler. En 2015, près des trois quarts des mères sans travail étaient mères au foyer, selon Statistique Canada. À Montréal, l’implantation du modèle scandinave de garderies subventionnées a permis de ramener le coût médian à 168 $ par mois, soit 10 fois moins qu'à Toronto.

Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’UQAM, insiste sur les résultats de cette politique familiale. « Le taux d’employabilité des femmes âgées de 20 à 44 ans qui détiennent un emploi ou en cherchent un est de 87 % – le plus élevé du monde –, qu’elles partagent avec les Suissesses et les Suédoises. Leur taux de fécondité a même augmenté. »

Bien sûr, le contexte économique a changé depuis la création du programme (récession, crise, automatisation, etc.), mais il a changé pour tout le monde – or les chiffres, eux, n’ont pas tellement bougé. Entre 1997 et 2016, le taux d’activité des femmes de 20 à 44 ans est passé de 78 % à 80 % (+2 %) dans les autres provinces canadiennes, et de 76 % à 85 % (+9 %) au Québec. Sans le programme, on estime que ce taux serait de 79 %. Quant au taux d’emploi des mères d’enfants de 5 ans ou moins, il est passé de 64 % à 80 % (+16 %) durant la même période, mais seulement de 67 % à 71 % (+4 %) dans le reste du pays.

En invitant à instaurer un tel programme, le gouverneur de la Banque du Canada cherche notamment à stimuler l’emploi sans créer d’inflation (pour ne pas avoir à intervenir sur le taux directeur). « Tout cela milite en faveur d’un régime canadien où chaque province serait responsable de son propre système de garderies, souligne Pierre Fortin. Sauf que le gouvernement fédéral y contribuerait, vu les retombées économiques considérables (impôts et taxes) en jeu. » En effet, au Québec, le programme – pourtant entièrement financé par la province – a eu un impact favorable de 919 M$ sur les soldes budgétaires des administrations publiques en 2008.

Un autre chiffre donne raison à Steve Poloz : 12. C’est le nombre d’années qu’il faut en moyenne aux mères canadiennes pour regagner un revenu semblable à celui des femmes sans enfant. Seule exception : le Québec, où il ne leur faut « que » 4 ans. 

Marie Connolly, professeure au Département des sciences économiques de l’UQAM, est une des coauteures de l’étude parue en mars 2018 qui a mis ce problème en lumière. « Certaines femmes reprennent leur travail habituel à temps plein, mais d’autres recommencent à temps partiel, et mettent leur carrière en veille, voire arrêtent de travailler le temps que les enfants entrent à l’école. Le rôle des garderies reste à prouver [l’étude ne portait pas spécifiquement là-dessus], mais oui, cela laisse à penser qu’il existe un lien entre les deux expliquant cet écart de 8 ans entre le Québec et le reste du Canada. »

Les conséquences sont évidentes : « Qui dit revenu moindre pour la mère dit asymétrie financière dans le couple, particulièrement en cas de séparation. La perte de revenus du conjoint est alors vraiment difficile à compenser », précise la chercheuse.

Un défi qui s’ajoute à celui de la qualité des services offerts. « Les subventions ont eu un effet positif sur l’emploi, mais qu’en est-il du développement des enfants? se demande Marie Connolly. Il faut se pencher sur cette question. Une politique publique visant à favoriser l’insertion des femmes, c’est bien, mais cela ne suffit pas. »

Au Québec, si le programme a débouché sur la création de centres de la petite enfance, des garderies à but non lucratif dont la qualité globale est reconnue scientifiquement et mondialement, de nombreux parents doivent encore se tourner (ils obtiendront alors des crédits d’impôt remboursables) vers des garderies à but lucratif ou en milieu familial sans foi ni loi, où le pire côtoie le sordide (l’Observatoire des tout-petits estime que 41,2 % des 0 à 18 mois fréquentent des garderies privées jugées de faible ou très faible qualité). De quoi refroidir plus d’un parent, peu importe son sexe.