Le point de vue de l’économiste: l’inertie, ennemi du progrès au pays
Dans mon rôle d’économiste en chef et d’auteur, mon principal défi est particulièrement simple : la majorité des défis de l’économie sont connus. On les mentionne depuis des années, on avance des pistes de solutions, mais les résultats eux se font attendre. L’inertie semble endémique.
Les enjeux avec la productivité durent depuis longtemps, l’inadéquation entre les besoins d’habitation et le niveau de construction est bien connue. Et il faudrait vivre en dessous d’une roche pour ne pas avoir expérimenté la lourdeur bureaucratique canadienne. Comme plusieurs, j’ai suggéré des solutions, mais on est encore aux prises avec une productivité stagnante ainsi que des mises en chantier fort insuffisantes.
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Je ne crois pas en la pensée magique. Ces problèmes, qui datent de plusieurs décennies, ne seront pas faciles à régler. Ils nécessiteront des investissements importants – autant en temps qu’en ressources. Une seule personne ou un seul parti politique ne possède ni la vision ni la capacité de régler ces problèmes à lui seul.
Je jongle avec cette idée ou cette intuition depuis quelque temps déjà et à mes yeux, l’ennemi du progrès n’est pas une personne ou un mouvement politique. C’est la complaisance. Et pour la combattre, nous devons continuellement lutter contre l’inertie qui réussit toujours à se trouver un chemin, surtout lorsque des décisions sont prises et implémentées par des intervenants ou des organisations horizontales sans hiérarchie claire.
Décentraliser la prise de décisions, pour améliorer l’initiative et l’action
D’entrée de jeu, la centralisation des décisions politiques dans les bureaux des premiers ministres crée de l’inertie en réduisant l’expertise ainsi que le pouvoir décisionnel des ministres et des ministères. Les experts, beaucoup plus qualifiés que les politiciens dans leur créneau, doivent attendre des décisions ou l’approbation de décideurs centralisés moins qualités et plus souvent qu’autrement surchargés. On devrait décentraliser et déléguer davantage pour renforcer l’autonomie des administrations et de la fonction publique.
Le slogan politique, c’est ça le rôle des politiciens ?
Les politiciens consacrent souvent la majeure partie de leur temps à l’élaboration et la diffusion de messages politiques. La prise de décision est souvent reléguée au second plan, ce qui renforce l’inertie. Toute cette énergie pourrait être consacrée à la mise en œuvre de politiques publiques. On nous propose des cibles, des politiques publiques et même des modifications fiscales qui reposent, plus souvent qu’on le souhaiterait, sur une planification insuffisante. Les slogans gagnent des élections, mais une fois élus, les politiciens doivent développer leurs compétences dans l’administration et la gestion de politiques publiques. Cela nécessite de reposer sur l’expertise des administrations. J’ai travaillé dans le secteur public, et j’ai vu cette culture de message politique s’infiltrer dans la bureaucratie. La fonction publique se trouve à consacrer beaucoup de temps à défendre des positions politiques plutôt que de conseiller sur des politiques publiques.
Cette priorisation du message politique contribue à simplifier le débat politique et ça ne nous aide pas du tout. C’est regrettable, mais nous nous rapprochons de plus en plus du style politique de nos voisins du sud : des débats éternels et de la polarisation plutôt que l’atteinte de compromis.
On gagnerait à passer plus de temps à trouver des terrains d’attente et mettre en œuvre des solutions, pour ensuite réviser et améliorer ces solutions. Au bout du compte, c’est ça la pierre angulaire du progrès. Même si on ne partage pas les mêmes positions politiques, il est évident que le débat éternel ne contribue pas à faire avancer les politiques publiques aux États-Unis.
L’amélioration continue plutôt que les changements réactifs
Une culture d’amélioration continue doit être mise en avant. Notre gouvernance actuelle consiste à faire abstraction des problèmes jusqu’à ce qu’ils deviennent inévitables, et à changer le cap uniquement lorsqu'on se dirige vers le naufrage. C’est probablement lié à la surcharge des décideurs politiques qui se retrouvent à atteindre des feux. La série d’erreurs des dernières années devrait certainement générer des questionnements. Le support financier lors de la pandémie a été particulièrement généreux, mais cela nous a pris du temps à ajuster les programmes, ce sera couteux pour les générations futures. L’explosion de résidents non permanents a débuté à la fin 2022, mais on a commencé à s’en préoccuper en 2024. Le prix des maisons est problématique depuis des décennies. Or, on commence à peine à vouloir réduire les délais pour obtenir des permis, à envisager des changements dans le zonage, etc.
Reddition de compte, reddition de compte, reddition de compte
Peut-être que si je le répète, ça va apparaître… Les ambitions et les promesses creusent n’ont pas de valeur sans suivi ou reddition de compte. À l’inverse, elles peuvent nuire et contribuer au cynisme populaire. Actuellement, les ambitions et les promesses ne manquent pas. Il y a cependant une pénurie de livrables ou de projets réalisés dans les délais ou dans le respect du budget. Je comprends que de nombreuses choses échappent à notre contrôle, mais ne devrions-nous pas mieux prévoir les délais et les dépassements de coûts? Après tout, nous disposons d’informations sur les projets antérieurs, qui peuvent servir de base pour la planification future.
Les politiciens, pour une raison ou une autre, semblent penser qu’un changement important se produira dès qu’ils arrivent au pouvoir. Tout comme je ne trouverai pas le stationnement que personne n’a pu trouver, le fait de changer un dirigeant n’aura pas d’incidence instantanée sur toutes les institutions publiques et les réseaux de l’enseignement et de la santé. Davantage d’humilité serait requise.
Nous disposons également d’organisations solides dont la principale responsabilité est d’assurer la reddition de comptes. On peut penser au vérificateur général du Canada ou des provinces ainsi qu’au directeur parlementaire du budget. Malheureusement, on se retrouve souvent dans une guerre politique entre les politiciens et ces organismes. Or, cela favorise les partis politiques qui sont mieux outillés pour cette joute politique, qui après tout occupe une grande part de leur temps comme mentionné plus tôt. Cette opposition peut alimenter la perte de confiance du public dans les institutions ce qui historiquement n’a jamais été bon.
Nous devrions donner plus de pouvoir à nos institutions axées sur la reddition de comptes. Cela renforcerait leur rôle de contrepoids par rapport au message politique de l’heure. Après tout, sans ces organisations, l’inertie nous toucherait encore plus.