Oui à l’argent de poche numérique?
Selon un sondage mené par la Banque TD en 2018, 68 % des parents disent que leurs enfants utilisent autant sinon plus le paiement numérique que l’argent liquide. (Illustration de Wenting Li)
Quand Adrien*, 12 ans, reçoit son argent de poche, c’est dans le nuage que ça se passe. Bientôt au secondaire, ce jeune est bien conscient qu’il s’agit d’opérations numériques, grâce à Internet, et tout cela est bien naturel pour lui.
« Je dirais que pour les enfants, payer avec une carte de débit devient la norme, affirme sa mère. Adrien dépose tous les billets de banque qu’il reçoit, par exemple de sa grand-mère, et se sert de sa carte pour régler ses petites dépenses. »
En plus des largesses de mamie, un virement automatique se fait chaque semaine pour alimenter le compte du préado. Une allocation régulière et prévisible, voilà exactement ce que les experts – tels que ceux de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada – recommandent quand il est question d’argent de poche.
La mère et le père d’Adrien, qui vivent séparément, trouvent commode que le relevé bancaire précise ce que leur jeune a acheté, et où. Et quand il va au cinéma avec des amis, il peut se payer un sac de maïs soufflé, en un clin d’œil, et sans s’embarrasser de menue monnaie.
Cette famille est loin d’être la seule à procéder ainsi. Selon un sondage mené par la Banque TD en 2018 sur les habitudes de dépenses des enfants, 68 % des parents disent que leurs enfants utilisent autant sinon plus le paiement numérique que l’argent liquide, un niveau d’aisance qui augmente d’ailleurs avec l’âge (81 % chez les 15-17 ans, selon les parents).
Voici quatre façons de verser une allocation sous forme numérique :
1. Comptes bancaires pour les enfants
Certaines banques – comme RBC – offrent un compte conjoint, détenu par l’enfant et par au moins un adulte. D’autres institutions, comme TD Canada Trust, proposent un compte au nom de l’enfant exclusivement, mais l’adulte, signataire, peut demander à recevoir les relevés.
Dans la plupart des cas, dès l’âge de 13 ans, l’enfant peut faire un retrait à un GAB et régler ses achats par carte de débit, dans le respect d’un plafond quotidien fixé par le parent. Mais Tangerine, entre autres, a créé un compte sans âge minimum, qui conviendra donc aux plus jeunes. (Voir Apprenez à vos enfants à dépenser intelligemment)
2. Applications de suivi des dépenses
Des applications pour cellulaire existent pour suivre l’argent de poche sous forme numérique – et même le verser automatiquement. Au Canada, RoosterMoney et Chore Check permettent un tel suivi et fournissent des leçons de base sur l’argent. L’appli iAllowance, elle, établit un lien avec le compte de banque et gère les virements réguliers entre le compte d’un adulte et celui d’un enfant.
3. Cartes prépayées
Les cartes prépayées rechargeables donnent aux adolescents de 16 ans et plus un accès facile à leur argent de poche. Délivrées sans enquête de crédit préalable, ces cartes ne sont liées à aucun compte. Elles sont commodes pour les parents, qui peuvent les réapprovisionner grâce à une application comme Zenwallet ou aux options de paiement de facture à partir de leur compte bancaire. On peut aussi opter pour une carte VISA prépayée rechargeable de Postes Canada, vendue dans tous les comptoirs de Postes Canada.
4. Cartes de crédit
Certains choisissent de nommer leur enfant comme utilisateur autorisé de leur carte de crédit, en prévoyant un plafond pour le crédit disponible. Dans les relevés mensuels, les dépenses de chacun sont présentées séparément. Cette façon de faire permet aussi de dresser un portrait global des dépenses de toute la famille.
ARGENT DE POCHE NUMÉRIQUE : LE POUR ET LE CONTRE
Le virage numérique – où les pièces et billets de banque sont absents du scénario – ne conviendra pas à toutes les familles, nuance l’expert en finances personnelles Bruce Sellery, auteur du livre à succès Moolala: Why smart people do dumb things with their money (and what you can do about it), paru en 2011.
« Le bon côté, c’est qu’on habitue l’enfant aux méthodes de paiement de notre époque, dit ce père d’une fillette de neuf ans. Manier sans grand risque de l’argent virtuel, avec une carte de plastique, fait partie des apprentissages. »
Toutefois, verser une allocation sous une forme non tangible et confier une carte de débit à un enfant peut avoir des effets moins heureux, selon M. Sellery. D’ailleurs, d’après le sondage de la Banque TD, 80 % des parents croient que tourner le dos aux espèces risque d’avoir des effets négatifs sur les enfants. On risque de banaliser les dépenses irréfléchies. Le jeune, moins conscient des conséquences des dépenses excessives, pourrait avoir plus de mal à faire l’apprentissage de la valeur de l’argent.
« Le recours aux cartes en plastique n’a pas le même effet psychologique, explique M. Sellery. Des études l’ont montré, les dépenses diminuent d’environ 20 % lorsqu’on règle ses achats en espèces plutôt qu’avec une carte de crédit. »
Cela s’explique par le fait qu’on ne manipule pas une ressource concrète qui en vient à diminuer, dans ses poches. Bien entendu, les pièces de monnaie et les billets sont des objets tangibles associés à une valeur. Ils sont à privilégier pour faire comprendre à un enfant les concepts de ressource limitée, d’épuisement graduel et de compromis à faire. Voilà pourquoi l’expert préfère donner des billets à sa fille, depuis qu’elle a six ans.
« Je repousse le plus possible le moment où je lui confierai une carte. Je veux qu’elle comprenne qu’un sou est un sou. »
TROUVER L’ÉQUILIBRE
En effet, les parents devraient enseigner à leurs enfants à utiliser du liquide tout autant que de l’argent numérique, croit Li Zhang, directrice de projets, Responsabilité sociétale, à CPA Canada. « Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais bien les deux. »
« Il importe de montrer aux enfants les diverses facettes de l’argent, pour qu’ils ne soient pas ignorants. On entend souvent dire que les tout-petits croient que l’argent vient tout bonnement des guichets automatiques, sans saisir qu’il faut d’abord l’avoir gagné pour pouvoir en puiser à même ces machines magiques. »
Certes, de nombreux adultes ne gardent plus de billets sur eux, mais Mme Zhang explique qu’il faut sensibiliser les jeunes à un usage judicieux de l’argent, du numéraire au numérique. Il faut aussi parler franchement avec eux : parfois, il est tout à fait approprié de faire un paiement numérique; parfois, il convient plutôt d’utiliser des pièces et des billets.
ENSEIGNER AUX ENFANTS LES RUDIMENTS DE LA FINANCE
Le Guide à l’intention des parents : Apprendre la gestion financière à nos enfants de CPA Canada, qui porte sur les réalités vécues à tous les âges (des tout-petits aux jeunes adultes), traite de cinq aspects : gagner, économiser, dépenser, partager et investir.
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* Prénom changé pour protéger l’identité de l’enfant.