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Un portrait de Cheri Burke-Gaffney
La profession

Transformer des vies

Cheri Burke-Gaffney, CPA calgarienne et directrice des opérations de Canadian Women for Women in Afghanistan, a trouvé sa vocation : transmettre savoir et espoir à des Afghanes qui affrontent l’adversité.

En 1996, les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan et imposent un régime répressif assorti de restrictions sévères visant les femmes, dont l’interdiction d’occuper un emploi et de quitter leur domicile sans être accompagné d’un parent proche de sexe masculin. Quant aux jeunes filles, on leur interdit d’aller à l’école et de faire des études supérieures. La même année, dans la foulée d’efforts citoyens pour aider les femmes et les filles afghanes, Deborah Ellis, auteure canadienne primée d’une série de romans jeunesse sur le parcours d’une Afghane de 11 ans nommée Parvana, crée spontanément un groupe de financement à Toronto. 

Ce regroupement communautaire recueille d’abord des dons pour des cours d’alphabétisation, des dispensaires et des formations professionnelles pour femmes en Afghanistan, ainsi que pour les réfugiés afghans au Pakistan. Bientôt, il essaime à Calgary, à Victoria et à Vancouver. En 2003 (après la défaite des talibans, en 2001), l’initiative se constitue en organisme sans but lucratif (OSBL) sous le nom de Canadian Women for Women in Afghanistan (CW4WAfghan), et crée un réseau de bibliothèques de village et de laboratoires de sciences dans les écoles. L’OSBL devient un organisme de bienfaisance enregistré en 2009. Dans les années suivantes, CW4WAfghan contribue à l’alphabétisation de plus de 5 000 Afghanes, forme 10 000 enseignants et fonde la bibliothèque Darakht-e Danesh (qui signifie « arbre de connaissances » en dari, une langue afghane), la première collection multilingue de ressources éducatives en ligne destinées au peuple afghan. Actuellement, la bibliothèque cumule plus de 65 000 visites par mois.  

En 2021, à la faveur du retrait des forces militaires des États-Unis et de l’OTAN, les talibans reprennent rapidement le pouvoir, et réinstaurent plusieurs de leurs restrictions d’avant. « Notre travail s’avère donc plus important que jamais », souligne Cheri Burke-Gaffney, CPA de Calgary et directrice des opérations de CW4WAfghan depuis 2022. Pour l’heure, les talibans semblent bien installés au pouvoir, et en cette 28e année d’existence de CW4WAghan, Cheri Burke-Gaffney et son équipe s’affairent à la mise en place, d’ici une décennie, d’un système d’enseignement virtuel complet pour les femmes et les filles afghanes.  

Depuis quand connaissez-vous CW4WAfghan? 

À mes débuts, je travaillais dans le secteur pétrogazier. Après 10 ans, je me suis mise à mon compte, car j’aspirais à une meilleure conciliation travail-famille, le temps que mes trois enfants grandissent. J’offrais des services de tenue de livres, des services-conseils et des services fiscaux dans divers secteurs, et j’ai rencontré mon premier client du secteur sans but lucratif en 2013. C’est ce client qui m’a présenté Janice Eisenhauer, une des cofondatrices de CW4WAfghan. Elle cherchait quelqu’un pour la trésorerie. Elle a été une telle inspiration pour moi, et j’ai trouvé l’équipe si passionnée! Moi aussi, je voulais participer à la mission de CW4WAfghan – redonner espoir aux femmes et filles afghanes sans recours en améliorant concrètement leur vie. J’ai commencé comme comptable, puis j’ai fini par devenir directrice des finances. Aujourd’hui, mon mandat de directrice des opérations réunit les levées de fonds, la mobilisation du public et les ressources humaines.  

Comment avez-vous surmonté les défis liés à la gestion financière d’un OSBL? 

Premièrement, j’ai suivi le programme de certificat en comptabilité des OSBL donné par Humanity Financial Management, un cabinet comptable de Vancouver. Même si, bien sûr, certains principes comptables et certaines obligations fiscales diffèrent, j’ai découvert que, dans l’ensemble, les finances d’un OSBL ressemblent à celles d’une entreprise à but lucratif. La visée n’est peut-être pas lucrative, mais on doit quand même surveiller les dépenses et générer des revenus. Nous n’avons pas de comptes à rendre aux actionnaires, mais nous présentons aux 6 000 organisations et particuliers qui nous soutiennent des informations détaillées sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance.  

Comment surmontez-vous les défis de la prestation de services dans un pays instable comme l’Afghanistan?  

Nous devons accepter que de nombreuses variables changent constamment là-bas. Nous nous y adaptons de notre mieux. Par exemple, le gouvernement canadien nous avait accordé une subvention de quatre ans, de 2019 à 2023, mais au retour des talibans, en 2021, il a dû y mettre fin. En l’absence d’un gouvernement reconnu, il ne pouvait plus garder une présence en Afghanistan. Nous avons réussi à lui fournir un plan de projet détaillé sur la prestation de nos programmes virtuels – qui, sans présence sur place, demeurent tout de même très utiles. J’étais ravie que nous ayons convaincu l’État de maintenir notre subvention en l’adaptant aux programmes virtuels. Désormais, nous donnons aussi des cours en ligne à des enseignantes et enseignants d’Afghanistan et d’autres pays. Et nous avons lancé des classes virtuelles pour les jeunes filles à qui les politiques talibanes interdisent l’accès à l’école normale. La mise en ligne de nos programmes a l’avantage supplémentaire d’assurer la sécurité des élèves et des enseignants.  

Parlez-nous d’une expérience particulièrement enrichissante que vous avez vécue à CW4WAfghan. 

Je pense entre autres à une fête où deux de nos deux élèves de septième année ont témoigné leur gratitude de façon particulière à l’une de nos mécènes. La première a livré un message de remerciement dans un anglais impeccable, appris grâce à nos classes virtuelles. L’autre a dessiné un portrait extrêmement beau de la donatrice. Voir ces filles épanouies, pleines de talent et d’ambition, m’a vraiment fait chaud au cœur. Ces récits ont aussi inspiré mes enfants : ma fille et mon fils cadet, tous deux des comptables, font du bénévolat, et mon fils aîné étudie les maladies infectieuses et l’incidence des vaccins antipaludiques en Éthiopie. Un jour, je l’espère, l’Afghanistan redeviendra un pays sûr et nous irons rencontrer en personne ces femmes et ces filles courageuses. 

Quels sont les projets de CW4WAfghan? 

Après à peine cinq années de règne taliban, de 1996 à 2001, nous avons tous constaté les impacts sociaux et économiques dévastateurs de l’interdiction imposée aux femmes d’accéder à l’éducation. Les filles de toute une génération, privées d’enseignement, sont aujourd’hui des adultes analphabètes. Pour éviter une autre génération perdue, il faut briser le cycle de l’analphabétisme et de la pauvreté. Le savoir donne du pouvoir. Il façonne notre parcours, nous permet de prendre nos propres décisions et de changer le cours des choses. C’est pourquoi nous élargissons nos programmes virtuels et notre programme de bourse, qui aide les jeunes filles à payer les frais de scolarité, l’achat d’un ordinateur et diverses ressources éducatives. Nous travaillons également à la création d’un programme d’attestation pour que les filles obtiennent un diplôme d’études secondaires qui ouvre la porte à l’éducation supérieure.  

Que peuvent faire les CPA pour l’avancement des droits des femmes et des droits de la personne dans le monde? Et quel conseil donneriez-vous aux CPA qui envisagent une carrière alliant finances et impact social dans le secteur sans but lucratif? 

Il incombe aux CPA, en tant que leaders, de mettre à profit leurs compétences et leur expertise pour rendre le monde meilleur. Si vous aspirez à faire œuvre utile, suivez votre cœur : il vous mènera vers une carrière gratifiante. Le secteur sans but lucratif enrichit le bagage des CPA tout en favorisant le développement personnel et le sentiment d’accomplissement. Je recommande également de ne pas trop s’en faire pour les leviers qui échappent au contrôle des OSBL, entre autres les changements politiques et économiques, car ce secteur a démontré sa résilience, notamment durant la pandémie. Les compétences que les CPA peuvent faire valoir dans les OSBL sont autant d’atouts à l’appui de cette résilience.